Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/650

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lui que nous sommes libres.

— Grâce à lui ?

— Oui, il nous a fait conduire dans l’orangerie par M. Bernouin, son valet de chambre, puis de là nous l’avons suivi jusque chez le comte de la Fère. Alors il nous a offert de nous rendre notre liberté, nous avons accepté, et il a poussé la complaisance jusqu’à nous montrer le chemin et nous conduire au mur du parc, que nous venions d’escalader avec le plus grand bonheur, quand nous avons rencontré Grimaud.

— Ah ! bien, dit Aramis, voici qui me raccommode avec lui, et je voudrais qu’il fût là pour lui dire que je ne le croyais pas capable d’une si belle action.

— Monseigneur, dit d’Artagnan incapable de se contenir plus longtemps, permettez que je vous présente M. le chevalier d’Herblay, qui désire offrir, comme vous avez pu l’entendre, ses félicitations respectueuses à Votre Éminence.

Et il se retira, démasquant Mazarin confus aux regards effarés d’Aramis.

— Oh ! oh ! fit celui-ci, le cardinal ! Belle prise ! Holà ! holà ! amis ! les chevaux ! les chevaux !

Quelques cavaliers accoururent.

— Pardieu ! dit Aramis, j’aurai donc été utile à quelque chose. Monseigneur, daigne Votre Éminence recevoir tous mes hommages ! Je parie que c’est ce saint Christophe de Porthos qui a encore fait ce coup-là ! À propos, j’oubliais…

Et il donna tout bas un ordre à un cavalier.

— Je crois qu’il serait prudent de partir, dit d’Artagnan.

— Oui, mais j’attends quelqu’un… un ami d’Athos.

— Un ami ? dit le comte.

— Et tenez, le voilà qui arrive au galop à travers les broussailles.

— Monsieur le comte ! monsieur le comte ! cria une jeune voix qui fit tressaillir Athos.

— Raoul ! Raoul ! s’écria le comte de la Fère.

Un instant le jeune homme oublia son respect habituel ; il se jeta au cou de son père.

— Voyez, monsieur le cardinal, n’eût-ce pas été dommage de séparer des gens qui s’aiment comme nous nous aimons ? Messieurs, continua Aramis en s’adressant aux cavaliers qui se réunissaient plus nombreux à chaque instant, messieurs, entourez Son Éminence pour lui faire honneur ; elle veut bien nous accorder la faveur de sa compagnie ; vous lui en serez reconnaissants, je l’espère. Porthos, ne perdez pas de vue Son Éminence.

Et Aramis se réunit à d’Artagnan et à Athos, qui délibéraient, et délibéra avec eux.

— Allons, dit d’Artagnan après cinq minutes de conférence, en route !

— Et où allons-nous ? demanda Porthos.

— Chez vous, cher ami, à Pierrefonds ; votre beau château est digne d’offrir son hospitalité seigneuriale à Son Éminence ; et puis, très bien situé : ni trop près ni trop loin de Paris ; on pourra de là établir des communications faciles avec la capitale. Venez, monseigneur, vous serez là comme un prince, que vous êtes.

— Prince déchu, dit piteusement Mazarin.

— La guerre a ses chances, monseigneur, répondit Athos ; mais soyez assuré que nous n’en abuserons point.

— Non, mais nous en userons, dit d’Artagnan.

Tout le reste de la nuit les ravisseurs coururent avec cette rapidité infatigable d’autrefois ; Mazarin, sombre et pensif, se laissait entraîner au milieu de cette course de fantômes… À l’aube, on avait fait douze lieues d’une seule traite ; la moitié de l’escorte était harassée, quelques chevaux tombèrent.