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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/651

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— Les chevaux d’aujourd’hui ne valent plus ceux d’autrefois, dit Porthos ; tout dégénère.

— J’ai envoyé Grimaud à Dammartin, dit Aramis ; il doit nous ramener cinq chevaux frais, un pour son Éminence, quatre pour nous ; le principal est que nous ne quittions pas monseigneur ; le reste de l’escorte nous rejoindra plus tard ; une fois Saint-Denis passé, nous n’avons plus rien à craindre.

Grimaud ramena effectivement cinq chevaux ; le Seigneur auquel il s’était adressé étant un ami de Porthos, s’était empressé, non pas de les vendre, comme on le lui avait proposé, mais de les offrir. Dix minutes après, l’escorte s’arrêtait à Ermenonville, mais les quatre amis couraient avec une ardeur nouvelle, escortant M. Mazarin.

À midi on entrait dans l’avenue du château de Porthos.

— Ah ! fit Mousqueton, qui était placé près de d’Artagnan et qui n’avait pas soufflé un seul mot pendant toute la route ; ah ! vous me croirez si vous voulez, monsieur, mais voilà la première fois que je respire depuis mon départ de Pierrefonds.

Et il mit son cheval au galop pour annoncer aux autres serviteurs l’arrivée de M. du Vallon et de ses amis.

— Nous sommes quatre, dit d’Artagnan à ses amis, nous nous relayons pour garder monseigneur, et chacun de nous veillera trois heures. Athos va visiter le château, qu’il s’agit de rendre imprenable en cas de siége ; Porthos veillera aux approvisionnements, et Aramis aux entrées des garnisons, c’est-à-dire qu’Athos sera ingénieur en chef, Porthos munitionnaire général et Aramis gouverneur de la place.

En attendant on installa Mazarin dans le plus bel appartement du château.

— Messieurs, dit-il quand cette installation fut faite, vous ne comptez pas, je présume, me garder ici longtemps incognito ?

— Non, monseigneur, répondit d’Artagnan, et, tout au contraire, nous allons publier bien vite que nous vous tenons.

— Alors on vous assiégera.

— Nous y comptons bien.

— Et que ferez-vous ?

— Nous nous défendrons. Si feu M. le cardinal de Richelieu vivait encore, il vous raconterait une certaine histoire d’un bastion Saint-Gervais où nous avons tenu à nous quatre, avec nos quatre laquais et douze morts, contre toute une armée.

— Ces prouesses-là se font une fois, monsieur, et ne se renouvellent pas.

— Aussi, aujourd’hui, n’aurons-nous pas besoin d’être si héroïques : demain l’armée parisienne sera prévenue, après-demain, elle sera ici. La bataille, au lieu de se livrer à Saint-Denis ou à Charenton, se livrera donc vers Compiègne ou Villers-Cotterets.

— M. le Prince vous battra, comme il vous a toujours battus.

— C’est possible, monseigneur, mais avant la bataille nous ferons filer Votre Éminence sur un autre château de notre ami du Vallon, et il en a trois comme celui-ci. Nous ne voulons pas exposer Votre Éminence aux hasards de la guerre.

— Allons, dit Mazarin, je vois qu’il faudra capituler.

— Avant le siége ?

— Oui, les conditions seront peut-être meilleures.

— Ah ! monseigneur, pour ce qui est des conditions, vous verrez comme nous sommes raisonnables.

— Voyons, quelles sont-elles vos conditions ?

— Reposez-vous d’abord, monseigneur, et nous, nous allons réfléchir.

— Je n’ai pas besoin de repos, messieurs, j’ai besoin de savoir si je suis entre des mains amies ou ennemies.

— Amies, monseigneur, amies !