Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/652

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— Eh bien, alors, dites-moi tout de suite ce que vous voulez, afin que je voie si un arrangement est possible entre nous. Parlez, monsieur le comte de la Fère. — Monseigneur, dit Athos, je n’ai rien à demander pour la France. Je me récuse donc et passe la parole à M. le chevalier d’Herblay.

Et Athos s’inclinant, fit un pas en arrière et demeura debout appuyé contre la cheminée, en simple spectateur de la conférence.

— Parlez donc, monsieur le chevalier d’Herblay, dit le cardinal. Que désirez-vous ? Pas d’ambages, pas d’ambiguïtés. Soyez clair, court et précis. — Moi, monseigneur, je jouerai cartes sur table. — Abattez donc votre jeu. — J’ai dans ma poche, dit Aramis, le programme des conditions qu’est venue vous imposer avant-hier à Saint-Germain la députation dont je faisais partie. Respectons d’abord les droits des anciens ; les demandes qui sont portées au programme seront accordées. — Nous étions presque d’accord sur celles-là, dit Mazarin ; passons donc aux conditions particulières. — Vous croyez donc qu’il y en aura ? dit en souriant Aramis. — Je crois que vous n’aurez pas tous le même désintéressement que M. le comte de la Fère, dit Mazarin en se retournant vers Athos et en le saluant. — Ah ! monseigneur, vous avez raison, dit Aramis, et je suis heureux de voir que vous rendez enfin justice au comte. M. de la Fère est un esprit supérieur qui plane au-dessus des désirs vulgaires et des passions humaines ; c’est une âme antique et fière. M. le comte est un homme à part. Vous avez raison, monseigneur, nous ne le valons pas, et nous sommes les premiers à le confesser avec vous. — Aramis, dit Athos, raillez-vous ? — Non, mon cher comte, non, je dis ce que nous pensons et ce que pensent tous ceux qui vous connaissent. Mais vous avez raison, ce n’est pas de vous qu’il s’agit, c’est de monseigneur et de son indigne serviteur le chevalier d’Herblay. — Eh bien, que désirez-vous, monsieur, outre les conditions générales sur lesquelles nous reviendrons ? — Je désire, monseigneur, qu’on donne la Normandie à Mme de Longueville, avec l’absolution pleine et entière, et cinq cent mille livres. Je désire que S. M. le roi daigne être le parrain du fils dont elle vient d’accoucher ; ensuite, que monseigneur, après avoir assisté au baptême, aille présenter ses hommages à notre saint-père le pape. — C’est-à-dire que vous voulez que je me démette de mes fonctions de ministre, que je quitte la France, que je m’exile ? — Je veux que monseigneur soit pape à la première vacance, me réservant alors de lui demander des indulgences plénières pour moi et mes amis.

Mazarin fit une grimace intraduisible.

— Et vous, monsieur ? demanda-t-il à d’Artagnan. — Moi, monseigneur, dit le Gascon, je suis en tout point du même avis que M. le chevalier d’Herblay, excepté sur le dernier article, sur lequel je diffère entièrement de lui. Loin de vouloir que monseigneur quitte la France, je veux qu’il demeure premier ministre, car monseigneur est un grand politique. Je tâcherai même, autant qu’il dépendra de moi, qu’il ait le dé sur la Fronde tout entière ; mais à la condition qu’il se souviendra quelque peu des fidèles serviteurs du roi, et qu’il donnera la première compagnie de mousquetaires à quelqu’un que je désignerai. Et vous, du Vallon ? — Oui, à votre tour, monsieur, dit Mazarin, parlez. — Moi, dit Porthos, je voudrais que M. le cardinal, pour honorer ma maison, qui lui a donné asile,