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CHAPITRE XCII.

COMME QUOI AVEC UNE PLUME ET UNE MENACE ON FAIT PLUS VITE ET MIEUX QU’AVEC L’ÉPÉE ET DU DÉVOÛMENT.


lettrine D’Artagnan connaissait sa mythologie : il savait que l’occasion n’a qu’une touffe de cheveux par laquelle on puisse la saisir, et il n’était pas homme à la laisser passer sans l’arrêter par le toupet. Il organisa un système de voyage prompt et sûr en envoyant d’avance des chevaux de relais à Chantilly, de façon qu’il pouvait être à Paris en cinq ou six heures. Mais avant de partir, il réfléchit que pour un garçon d’esprit et d’expérience, c’était une singulière position que de marcher à l’incertain en laissant le certain derrière soi.

— En effet, se dit-il au moment de monter à cheval pour remplir sa dangereuse mission, Athos est un héros de roman pour la générosité ; Porthos, une nature excellente, mais facile à influencer ; Aramis, un visage hiéroglyphique, c’est-à-dire toujours illisible. Que produiront ces trois éléments quand je ne serai plus là pour les relier entre eux ?… la délivrance du cardinal peut-être. Or, la délivrance du cardinal, c’est la ruine de nos espérances, et nos espérances sont jusqu’à présent l’unique récompense de vingt ans de travaux près desquels ceux d’Hercule sont des œuvres de pygmée.

Il alla trouver Aramis.

— Vous êtes, vous, mon cher chevalier d’Herblay, lui dit-il, la Fronde incarnée. Méfiez-vous donc d’Athos, qui ne veut faire les affaires de personne, pas même les siennes. Méfiez-vous surtout de Porthos, qui, pour plaire au comte, qu’il regarde comme la Divinité sur la terre, l’aidera à faire évader Mazarin, si Mazarin a seulement l’esprit de pleurer ou de faire de la chevalerie.

Aramis sourit de son sourire fin et résolu à la fois.

— Ne craignez rien, dit-il, j’ai mes conditions à poser. Je ne travaille pas pour moi, mais pour les autres, et il faut que ma petite ambition aboutisse au profit de qui de droit.