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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/662

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dit d’Artagnan : c’est que si Votre Majesté ne signe pas cet acquiescement aujourd’hui, elle ne trouvera pas le temps de le signer plus tard. Veuillez donc, je vous en supplie, écrire au bas de ce programme, tout entier de la main de Mazarin, comme vous le voyez :

« Je consens à ratifier le traité proposé par les Parisiens. »

Anne était prise, elle ne pouvait reculer, elle signa. Mais à peine eut-elle signé que l’orgueil éclata en elle comme une tempête et qu’elle se prit à pleurer.

D’Artagnan tressaillit en voyant ces larmes. Dès ce temps les reines pleuraient comme de simples femmes.

Le Gascon secoua la tête. Ces larmes royales semblaient lui brûler le cœur.

— Madame, dit-il en s’agenouillant, regardez le malheureux gentilhomme qui est à vos pieds, il vous prie de croire que sur un geste de Votre Majesté tout lui serait possible. Il a foi en lui-même, il a foi en ses amis, il veut avoir foi en sa reine ; et la preuve qu’il ne craint rien, qu’il ne spécule sur rien, c’est qu’il ramènera M. de Mazarin à Votre Majesté sans conditions. Tenez, madame, voici les signatures sacrées de Votre Majesté ; si vous croyez devoir me les rendre, vous le ferez. Mais, à partir de ce moment, elles ne vous engagent plus à rien.

Et d’Artagnan, toujours à genoux, avec un regard flamboyant d’orgueil et de mâle intrépidité, remit en masse à Anne d’Autriche ces papiers qu’il avait arrachés un à un et avec tant de peine.

Il y a des moments, car si tout n’est pas bon, tout n’est pas mauvais dans ce monde ; il y a des moments où dans les cœurs les plus secs et les plus froids, germe, arrosé par les larmes d’une émotion extrême, un sentiment généreux, que le calcul et l’orgueil étouffent si un autre sentiment ne s’en empare pas à sa naissance. Anne était dans un de ces moments-là. D’Artagnan en cédant à sa propre émotion, en harmonie avec celle de la reine, avait accompli l’œuvre d’une profonde diplomatie ; il fut donc immédiatement récompensé de son adresse ou de son désintéressement, selon qu’on voudra faire honneur à son esprit ou à son cœur du motif qui le fit agir.

— Vous aviez raison, monsieur, dit Anne, je vous avais méconnu. Voici les actes signés que je vous rends librement ; allez et ramenez-moi au plus vite le cardinal.

— Madame, dit d’Artagnan, il y a vingt ans, j’ai bonne mémoire, que j’ai eu l’honneur, derrière une tapisserie de l’Hôtel-de-Ville, de baiser une de ces belles mains.

— Voici l’autre, dit la reine, et pour que la gauche ne soit pas moins libérale que la droite (elle tira de son doigt un diamant à peu près pareil au premier), prenez et gardez cette bague en mémoire de moi.

— Madame, dit d’Artagnan en se relevant, je n’ai plus qu’un désir, c’est que la première chose que vous me demandiez, ce soit ma vie.

Et, avec cette allure qui n’appartenait qu’à lui, il se releva et sortit.

— J’ai méconnu ces hommes, dit Anne d’Autriche en regardant s’éloigner d’Artagnan, et maintenant il est trop tard pour que je les utilise : dans un an le roi sera majeur !

Quinze heures après, d’Artagnan et Porthos ramenaient Mazarin à la reine, et recevaient, l’un son brevet de lieutenant capitaine des mousquetaires, l’autre son diplôme de baron.

— Eh bien ! êtes-vous contents ? demanda Anne d’Autriche.