récit de Planchet correspondant avec ses précédentes observations. Eh bien ?
— L’un de ces hommes disait :
« Il doit bien certainement être à Noisy ou y venir ce soir, car j’ai reconnu son domestique.
— Tu es sûr ? a dit l’homme au manteau.
— Oui, mon prince. »
— Mon prince ? interrompit d’Artagnan.
— Oui, mon prince. Mais écoutez donc : « S’il y est, voyons, décidément, qu’en faut-il faire ? a dit l’autre buveur.
— Ce qu’il faut en faire ? a dit le prince.
— Oui. Il n’est pas homme à se laisser prendre comme cela, il jouera de l’épée.
— Eh bien, il faudra faire comme lui, et cependant, tâche de l’avoir vivant. Avez-vous des cordes pour le lier et un bâillon pour lui mettre sur la bouche ?
— Nous avons tout cela.
— Faites attention qu’il sera, selon toute probabilité, déguisé en cavalier.
— Oh ! oui, oui, monseigneur, soyez tranquille.
— D’ailleurs, je serai là, et je vous guiderai.
— Vous répondez que la justice ?…
— Je réponds de tout, dit le prince.
— C’est bon, nous ferons de notre mieux. »
Et sur ce, ils sont sortis de l’écurie.
— Eh bien, dit d’Artagnan, en quoi cela nous regarde-t-il ? C’est quelques-unes de ces entreprises comme on en fait tous les jours.
— Et vous êtes sûr qu’elle n’est point dirigée contre nous ?
— Contre nous ! et pourquoi ?
— Dame, repassez leurs paroles : « J’ai reconnu son domestique, » a dit l’un ; ce qui pourrait bien se rapporter à moi.
— Après ?
— « Il doit être à Noisy, ou va y venir ce soir, » a dit l’autre ; ce qui pourrait bien se rapporter à vous.
— Ensuite ?
— Ensuite le prince a dit : « Faites attention qu’il sera, selon toute probabilité, déguisé en cavalier ; » ce qui ne me paraît pas laisser de doute, puisque vous êtes en cavalier et non en officier de mousquetaires. Eh bien ! que dites-vous de cela ?
— Hélas ! mon cher Planchet, dit d’Artagnan en poussant un soupir, j’en dis que je n’en suis malheureusement plus au temps où les princes me voulaient faire assassiner. Ah ! celui-là c’était le bon temps. Sois donc tranquille, ces gens-là n’en veulent point à nous.
— Monsieur est sûr ?
— J’en réponds.
— C’est bien alors ; n’en parlons plus.
Et Planchet reprit sa place à la suite de d’Artagnan, avec cette sublime confiance qu’il avait toujours eue pour son maître, et que quinze ans de séparation n’avaient pas altérée.
On fit ainsi une lieue à peu près. Au bout de cette lieue, Planchet se rapprocha de d’Artagnan.
— Monsieur ? dit-il.
— Eh bien ? fit celui-ci.
— Tenez, Monsieur, regardez de ce côté, dit Planchet, ne vous semble-t-il pas au milieu de la nuit voir passer comme des ombres ? Écoutez, il me semble qu’on entend des pas de chevaux.
— Impossible, dit d’Artagnan, la terre est détrempée par les pluies ; cependant, comme tu me le dis, il me semble voir quelque chose.
Et il s’arrêta pour regarder et pour écouter.
— Si l’on n’entend pas les pas des chevaux, on entend leur hennissement au moins ; tenez.