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II


ce que disait un jour Elleviou d’une femme de la cour : Évidemment, voici une fille ou une duchesse.

Hélas ! ce n’était pas une duchesse, elle était née au bas de l’échelle difficile, et il avait fallu qu’elle fût en effet belle et charmante, pour avoir remonté d’un pied si léger les premiers échelons, dès l’âge de dix-huit ans qu’elle pouvait avoir en ce temps-là. Je me rappelle l’avoir rencontrée un jour, pour la première fois, dans un abominable foyer d’un théâtre du boulevard, mal éclairé et tout rempli de cette foule bourdonnante qui juge d’ordinaire les mélodrames à grand spectacle. Il y avait là plus de blouses que d’habits, plus de bonnets ronds que de chapeaux à plumes, et plus de paletots usés que de frais costumes ; on causait de tout, de l’art dramatique et des pommes de terre frites ; des pièces du Gymnase et de la galette du Gymnase ; eh bien, quand cette femme parut sur ce seuil étrange, on eût dit qu’elle illuminait toutes ces choses burlesques ou féroces, d’un regard de ses beaux yeux. Elle touchait du pied ce parquet boueux, comme si en effet elle eût traversé le boulevard un jour de pluie ; elle relevait sa robe par instinct, pour ne pas effleurer ces fanges desséchées, et sans songer à nous montrer, à quoi bon ? son pied bien chaussé, attaché à