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Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/138

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qui, fils, aime ses parents au delà de tout, qui, époux, aime sa femme plus que ses parents, qui père plus tard, aime ses enfants plus que parents, femme et maîtresses. La nature est exigeante, parce qu’elle est prodigue. Il se peut donc que vous vous trompiez, l’un comme l’autre, voilà les probabilités. Maintenant, voulez-vous voir les réalités et les certitudes ? Vous m’écoutez, n’est-ce pas ?

Marguerite.

Si je vous écoute, mon Dieu !

M. Duval.

Vous êtes prête à sacrifier tout à mon fils ; mais quel sacrifice égal, s’il acceptait le vôtre, pourrait-il vous faire en échange ? Il prendra vos belles années, et plus tard, quand la satiété sera venue, car elle viendra, qu’arrivera-t-il ? Ou il sera un homme ordinaire, et, vous jetant votre passé au visage, il vous quittera en disant qu’il ne fait qu’agir comme les autres ; ou il sera un honnête homme, et vous épousera, ou tout au moins vous gardera auprès de lui. Cette liaison, ou ce mariage, qui n’aura eu ni la chasteté pour base, ni la religion pour appui, ni la famille pour résultat, cette chose excusable peut-être chez le jeune homme, le sera-t-elle chez l’homme mûr ? Quelle ambition lui sera permise ? Quelle carrière lui sera ouverte ? Quelle consolation tirerai-je de mon fils, après m’être consacré vingt ans à son bonheur ? Votre rapprochement n’est pas le fruit de deux sympathies pures, l’union de deux affections innocentes ; c’est la passion dans ce qu’elle a de plus terrestre et de plus humain, née du caprice de l’un et de la fantaisie de l’autre ; bref, votre amour est un résultat et non une cause. Qu’en restera-t-il quand vous aurez vieilli tous deux ? Qui vous dit que les premières rides de votre front ne détacheront pas le voile de ses yeux, et que son amour ne mourra pas avec votre jeunesse ?

Marguerite.

Oh ! la réalité !