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Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/137

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M. Duval.

Il le faut !

Marguerite.

Jamais !… Vous ne savez donc pas comme nous nous aimons ? Vous ne savez donc pas que je n’ai ni amis, ni parents, ni famille ; qu’en me pardonnant, il m’a juré d’être tout cela pour moi, et que j’ai enfermé ma vie dans la sienne ? Vous ne savez donc pas, enfin, que je suis atteinte d’une maladie mortelle, que je n’ai que quelques années à vivre ! Quitter Armand, monsieur, autant me tuer tout de suite.

M. Duval.

Voyons, voyons, du calme et n’exagérons rien… Vous êtes jeune, vous êtes belle, et vous prenez pour une maladie la fatigue d’une vie un peu agitée ; vous ne mourrez certainement pas avant l’âge où l’on est heureux de mourir. Je vous demande un sacrifice énorme, je le sais, mais que vous êtes fatalement forcée de me faire. Écoutez-moi ; vous connaissez Armand depuis trois mois, et vous l’aimez ! mais un amour si jeune a-t-il le droit de briser tout un avenir ? et c’est tout l’avenir de mon fils que vous brisez en restant avec lui ! Êtes-vous sûre de l’éternité de cet amour ? Ne vous êtes-vous pas déjà trompée ainsi ? Et si tout à coup, — trop tard, — vous alliez vous apercevoir que vous n’aimez pas mon fils, si vous alliez en aimer un autre ? Pardon, Marguerite, mais le passé donne droit à ces suppositions.

Marguerite.

Jamais, monsieur, jamais je n’ai aimé et je n’aimerai comme j’aime.

M. Duval.

Soit ! mais, si ce n’est vous qui vous trompez, c’est lui qui se trompe, peut-être. À son âge, le cœur peut-il prendre un engagement définitif ? Le cœur ne change-t-il pas perpétuellement d’affections ? C’est le même cœur