Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/42

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baigné dans son sang ; sa mâle et belle figure est méconnaissable, le sabre ou la mitraille ne l’ont pas épargné : il souffre, il expire ; et son corps, objet de tant de soins, noirci, gonflé, hideux, va être jeté, tel quel, dans une fosse à peine creusée, il ne sera recouvert que de quelques pellées de chaux et de terre, et les oiseaux de proie ne respecteront pas ses pieds ou ses mains, sortant du sol détrempé et du talus qui lui sert de tombeau : l’on reviendra, on rapportera de la terre, on plantera peut-être une croix de bois sur la place où il repose, et ce sera tout !


Quant aux cadavres des Autrichiens qui sont répandus par milliers sur les collines, les contre-forts, les arêtes des mamelons, et qui sont épars au milieu des massifs d’arbres et des bois ou dans la campagne et les plaines de Médole, vêtus de vestes de toile déchirées, de capotes grises souillées de boue ou de tuniques blanches toutes rougies de sang, des essaims de mouches les dévoraient, et les oiseaux de proie planaient au-dessus de ces corps verdâtres, dans l’espoir d’en faire leur pâture ; on les entasse par centaines dans de grandes fosses communes.

Combien de jeunes hommes hongrois, bohêmes ou roumains, enrôlés depuis quelques semaines, qui se sont jetés à terre de fatigue et d’inanition, une fois hors de la portée du feu, et qui ne se sont plus relevés, ou qui affaiblis par la perte de leur sang, quoique peut-être légèrement blessés, ont péri misérablement d’épuisement et de faim !