Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/69

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avait donc succédé aux terribles agitations des jours précédents sur ce champ de bataille, maintenant si mélancolique, et que la passion et l’enthousiasme ont abandonné et quitté entièrement ; mais on y aperçoit çà et là des flaques de sang séché qui rougissent le sol, et des terres fraîchement remuées, blanchies et saupoudrées de chaux, qui indiquent les places où reposent les victimes du 24. À Solférino, dont la tour carrée domine depuis des siècles, impassible et fière, ce pays où, pour la troisième fois, venaient de se heurter deux des plus grandes puissances des temps modernes, on relève encore de nombreux et tristes débris qui recouvrent, jusque dans le cimetière, les croix et les pierres ensanglantées des tombeaux. J’arrivai vers neuf heures à Cavriana : c’était un spectacle unique et grandiose que le train de guerre qui entourait ce quartier général de l’empereur des Français. Je cherchais le maréchal duc de Magenta, que j’avais l’honneur de connaître personnellement. Ne sachant pas précisément où était campé à ce moment-là son corps d’armée, je fis arrêter mon cabriolet sur une petite place en face de la maison qu’habitait, depuis le vendredi soir, l’empereur Napoléon, et je tombai à l’improviste sur un groupe de généraux qui, assis sur de simples chaises de paille ou des escabeaux de bois, fumaient leurs cigares en prenant le frais devant le palais improvisé de leur Souverain. Pendant que je m’informe de la direction assignée au maréchal de Mac-Mahon, ces officiers-généraux interrogent, de leur côté, le caporal qui m’accompagne, et qui,