Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/79

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c’est horrible ce que je souffre ! » s’écrie-t-il. Mais il faut agir, et sans retard : vingt autres blessés veulent être opérés dans la même matinée, et cent cinquante attendent leur pansement, on n’a pas le temps de s’apitoyer sur un seul ni de s’arrêter à ses indécisions. Le chirurgien, bon de caractère, mais froid et résolu, répond seulement : « Laissez-nous faire, » puis il relève rapidement la couverture ; la jambe fracturée a doublé de volume, de trois endroits s’écoule une suppuration abondante et fétide, des taches violettes prouvent qu’une artère principale ayant été rompue le membre ne peut plus être nourri, il n’y a donc plus de remède, et la seule ressource, s’il y en a une, c’est l’amputation au tiers supérieur de la cuisse. Amputation ! mot effrayant pour ce malheureux jeune homme, qui dès lors ne voit devant lui d’autre alternative qu’une mort prochaine ou la misérable existence d’un estropié. Il n’a plus le temps de se préparer à la dernière décision : « Mon Dieu, mon Dieu ! qu’allez-vous faire ? » demande-t-il tout frissonnant. Le chirurgien ne répond pas. « Infirmier, transportez, dépêchez ! » dit-il. Mais un cri déchirant s’élève de cette poitrine haletante, l’infirmier maladroit a saisi la jambe inerte, et pourtant si sensible, beaucoup trop près de la plaie : les os fracturés en pénétrant dans les chairs ont causé un horrible supplice au soldat, dont on voit la jambe fléchir, ballottée par les secousses du transport jusqu’à la salle des opérations. Affreux cortége ! il semble que l’on conduise une victime à la mort. Il repose enfin sur la table des opérations, qui est recou-