Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/80

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verte d’un mince matelas ; à côté de lui, et sur une autre table, une serviette cache les instruments. Le chirurgien, tout à son affaire, n’entend et ne voit plus que son opération ; un jeune aide-major retient les bras du patient, et pendant que l’infirmier, saisissant la jambe saine, attire de toutes ses forces le malade vers le bord de la table, celui-ci effrayé s’écrie : « Ne me laissez pas tomber ! » et il serre convulsivement avec ses bras le jeune docteur prêt à le soutenir, et qui lui-même, pâle d’émotion, est presque tout aussi troublé. L’opérateur a ôté son habit, il a retroussé ses manches jusque près de l’épaule, un large tablier remonte jusqu’à son cou ; un genou sur les dalles de la salle et la main armée du terrible couteau, il entoure de son bras la cuisse du soldat et d’un seul coup fend la peau dans toute sa circonférence, un cri perçant a retenti dans l’hôpital ; le jeune médecin, face à face avec le martyr, peut contempler sur ses traits contractés les moindres détails de cette atroce agonie : « Courage, » dit-il à demi-voix au soldat, dont il sent les mains se crisper sur son dos : « deux minutes encore et vous serez délivré ! » Le chirurgien s’est relevé, il a commencé à séparer la peau des muscles qu’elle recouvre, et qu’il met à nu ; il découpe et pèle en quelque sorte les chairs en retroussant la peau à la hauteur d’un pouce, comme une manchette ; puis, revenant à la charge, d’un tour vigoureux il traverse et tranche avec son couteau tous les muscles jusqu’à l’os ; un torrent de sang jaillit des artères qui viennent d’être ouvertes, inonde l’opé-