Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/81

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rateur et ruisselle sur le plancher. Calme et impassible, l’habile praticien ne prononce pas un mot, mais tout à coup au milieu du silence qui règne dans la salle, il s’adresse avec colère à l’infirmier maladroit : « Imbécile, lui dit-il, ne savez-vous pas comprimer les artères ? » Ce dernier, peu expérimenté, n’a pas su prévenir l’hémorragie en appliquant convenablement le pouce sur les vaisseaux. Le blessé, au comble de la douleur, articule faiblement : « Oh ! c’est assez, laissez-moi mourir ! » et une sueur glacée découle de son visage. Mais il y a encore une minute à passer, une minute qui est une éternité. L’aide-major, toujours plein de sympathie, mesure les secondes, et observant tour à tour ou le maître qui opère ou la figure du patient, il essaie de soutenir son courage, et le voyant frissonner d’épouvante, il lui dit : « Plus qu’une minute ! » En effet le moment de la scie est arrivé, et déjà l’on entend l’acier qui crie en pénétrant dans l’os vif et qui sépare du corps le membre à moitié pourri. Mais la douleur a été trop forte sur ce corps affaibli et épuisé, et les gémissements ont cessé, car le malade s’est évanoui : le chirurgien qui n’est plus guidé par ses cris et ses plaintes, craignant que son silence ne soit celui de la mort, le regarde avec inquiétude pour s’assurer qu’il n’a pas expiré ; les cordiaux, tenus en réserve, ne parviennent qu’avec peine à ranimer ses yeux ternes, à demi-fermés et comme flétris ; le mourant semble pourtant renaître à la vie, il est brisé et exténué, mais au moins ses grandes souffrances sont terminées.