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Page:Duplessis - Le Batteur d'estrade, 1, 1856.djvu/9

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J’entre en fonctions.

atteint au cœur, il s’éloigne rapidement et va souvent mourir à une distance considérable de l’endroit où il a été blessé, je m’élançai pour le saisir… À peine vingt pas me séparaient-ils de l’animal, lorsque, effrayé et excité par ma vue, il parvint, par un puissant effort, à se relever et à prendre la fuite. Je me mis à sa poursuite… presque aussitôt un coup de feu partit à mes côtés ; le daim tomba foudroyé…

— Et qui avait tiré ce coup de carabine ? demanda M. Henry.

— Un coup de carabine, répéta Grandjean en levant les épaules d’un air de doute et de pitié, croyez-vous que c’en était un ?… Si je me sers de cette expression, c’est que je n’en trouve pas d’autre pour rendre ce que j’ai entendu… ce que j’ai vu. Riez tant que bon vous semblera, vous ne me prouverez jamais qu’un coup de carabine ne produise ni feu, ni fumée !… Or, cette fois, c’est ce qui a eu lieu !…

— As-tu au moins visité l’endroit d’où est parti ce coup de tonnerre ? Tu vois que je respecte tes préjugés, Grandjean, demanda le jeune homme d’un air moqueur.

— À quoi bon ? Je vous répète que c’était tout près de moi ; il n’y avait personne.

— Et le daim, qui t’a empêché de le ramasser ?

— Je n’y ai même pas songé. C’eût été comme si je voulais essayer d’allumer un foyer au contact d’un feu follet, répondit le Canadien d’un ton de conviction profonde. Croyez-moi, Monsieur Henry, ne vous obstinez pas, par fanfaronnade, à nier la puissance du diable, cela vous porterait malheur !

— Enfin, ce que je vois de plus clair dans tout ceci, reprit le jeune homme, c’est qu’il nous faudra souper ce soir avec notre tasajo et notre pinoli, car la nuit se fait, et ce serait une imprudence inutile que de vouloir rentrer dans l’intérieur de la forêt. Je regrette, Grandjean, de t’avoir envoyé à la découverte, et de ne pas m’être chargé moi-même de ce soin. C’est un daim que nous y perdons.

— Vous vous figurez donc que ce daim était réellement un daim ? dit le géant.

— À moins que ce ne fût un tigre déguisé.

— Vos railleries ne prouvent qu’une chose, monsieur Henry, interrompit Grandjean d’un ton bourru ; c’est que l’instruction que l’on reçoit dans les écoles des grandes villes produit des ignorants vaniteux. Un homme qui n’a jamais vécu dans l’intimité de la nature est un sourd qui croit en-