Page:Duplessis - Le Batteur d'estrade, 2, 1856.djvu/47

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M. de Hallay, s’étaient-ils donc si grossièrement mépris sur son compte ? Le lion n’était-il qu’un agneau ? En une seconde les actions, qui étaient déjà faiblement tenues, fléchirent de trente pour cent.

Quant aux Français témoins de cette scène bizarre, ils en attendaient le dénoûment avec plus d’impatience que d’inquiétude ; ils comptaient sur une éclatante revanche. Bientôt les murmures firent place à un grand silence, M. de Hallay reprenait la parole.

— Messieurs, dit-il froidement, la difficile modération dont je viens de faire preuve avait un but : c’était d’ôter tout prétexte à ce pauvre Know-Nothing de se servir de son revolver… car dans son état d’exaltation, il est aussi incontestable qu’il aurait blessé quelqu’un d’entre vous, qu’il est certain qu’il m’aurait manqué. Je prie les gentlemen qui se trouvent près de moi, et surtout derrière moi, de vouloir bien s’écarter un peu…

M. de Hallay n’avait pas achevé sa phrase, que le vide s’était formé autour de lui.

— Maintenant, poursuivit-il, ses bras toujours croisés sur sa poitrine, et en s’adressant à Jenkins, il vous est permis, monsieur, de tirer tout à votre aise !… Seulement, je dois vous prévenir que comme je ne puis, sans m’exposer au ridicule, vous servir sempiternellement de poupée, si vos deux premières balles restent sans effet, je me verrai dans la nécessité de vous assommer d’un coup de poing ! Ne vous pressez pas, et visez du mieux qu’il vous sera possible, car, je vous le répète, si vous me laissez vivant, vous êtes mort !…

Le chercheur d’or hésita. Le froid et tenace regard, la contenance impassible, le souverain dédain du marquis lui en imposaient.

Les actions remontèrent de dix pour cent.

— Monsieur, dit enfin Jenkins, vous vous méprenez sur mes intentions ; je ne veux point vous assassiner.

— Ce scrupule est déplacé… vous avez mon consentement… tirez !…

Les actions regagnèrent cinq pour cent ; elles n’étaient plus qu’à quinze au-dessous du pair. Le bon Sharp jugea que le moment n’était pas encore propice pour se défaire des siennes, et il attendit…

— Oh ! murmura-t-il, que je voudrais que Wiseman fût ici ! comme il s’amuserait !

Ce Sharp était réellement un excellent cœur !

La réponse du chercheur d’or avait causé un certain désappointement aux habitués de la Polka ; un instant, ils craignirent que cet incident, qui s’annonçait si bien et qui promettait une si belle représentation dramatique, ne restât sans dénoûment. Le marquis de Hallay les rassura bientôt.

— Monsieur, dit-il à son adversaire, vous devez comprendre que si j’ai été si patient et si courtois envers vous, c’est que je suis assuré de vous tuer. On doit tolérer beaucoup de choses d’un homme qui n’a plus que quelques minutes à vivre. Notre discussion ne saurait en rester au point où elle en est ; il faut forcément qu’elle aboutisse… Vous préférez un duel régulier au mode d’attaque que j’avais cru devoir vous accorder ; soit… j’y consens, mais à une condition… c’est que ce duel aura lieu ici et sur l’heure… Je ne vous connais pas, moi. Rien ne m’assure que je vous retrouverai demain…

— J’accepte, monsieur ! répondit le chercheur d’or.

— Hourra pour Jenkins ! hurlèrent la plupart des spectateurs américains.

— Hourra pour M. de Hallay, crièrent les étrangers.

Les actions restèrent stationnaires.

— J’ai bien envie d’envoyer un garçon de l’établissement chercher mon ami Wiseman, murmura master Sharp. Je calcule que Wiseman pourrait se refuser à payer la course : je n’enverrai pas.


fin de la deuxième série.