Page:Duplessis - Le Batteur d'estrade, 3, 1856.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Poussant un cri d’effroi, elle se leva précipitamment de la place où elle était assise.

ces arbres ? dit-il en désignant à sa compagne un bois d’une ravissante fraîcheur, et situé tout près de l’endroit où ils se trouvaient.

Cette demanda cause à la jeune fille un effroi qu’elle ne put dissimuler, et qui, par contre-coup, peina et étonna profondément M. d’Ambron.

— Soit, Luis, dirigeons-nous vers ce bois, s’écria-t-elle avec vivacité ; car la pénible impression éprouvée par le jeune homme ne lui avait pas échappé.

— Faisons mieux encore, Antonia, hâtons le pas ! ce petit surcroît de fatigue nous rendra doublement agréable le repos que nous goûterons au rancho.

— Non, Luis… allons au bois.

M. d’Ambron n’insista pas, il obéit ; mais son visage resta sérieux et le sourire ne revint plus sur ses lèvres ; la crainte manifestée par la jeune fille avait ressemblé à de la méfiance. Le jeune homme avait été à la fois blessé et atteint dans sa loyauté et dans ses croyances. Il n’admettait pas qu’Antonia pût suspecter, non-seulement ses intentions, mais encore celles de personne.

Quelques minutes suffirent aux deux jeunes gens pour atteindre le bois. M. d’Ambron observa qu’Antonia, en en franchissant la lisière, était en proie à une agitation extrême. Cette découverte assombrit davantage son visage. Bientôt incapable de résister aux tourments qu’il endurait :

— Antonia, ma sœur bien-aimée, s’écria-t-il, vous venez, sans vous en douter, de me déchirer cruellement le cœur !…

— Moi, Luis ! dit la jeune fille avec une vive émotion. Mon Dieu ! qu’ai-je donc fait ? Soyez persuadé que si je vous ai offensé, c’est bien à mon insu et contre ma volonté !

— Chère Antonia, répondit le jeune homme, les amitiés réelles, sérieuses, absolues, sont affligées, hélas ! d’une excessive susceptibilité… il suffit parfois d’un événement insignifiant, de moins encore : d’un mot, d’un regard, pour les effaroucher et les froisser ! Elles ont tellement la conscience de leur dévouement, qu’elles s’indignent à la pensée qu’elles pourraient être méconnues !… L’affection que je vous porte, Antonia, est trop grande, trop sincère, pour ne pas me donner droit à une entière franchise. J’ai été péniblement affecté de l’espèce de méfiance que vous m’avez témoignée lorsque je vous ai proposé tout à l’heure de ve-