Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/48

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pressée, entra en courant, dans la cour du château, 11 ve: no s annoncer l'approche des {roupes républicaines; éloi- Bees de nous d’une lieue à peine,

La vieille châtelaine, au lieu de pousser des cris ou de se livrer au désespoir, se mil, aidée de ses deux -servantes, à confectionner de la charpie et à préparer des lits pour les blessés.

Toutefois si aucune démonstration de crainte ne se lisait dacs la contenance des chouans, il était facile de voir à leur air sérieux, recueilli, presque solennel, qu'ils comprenaient parfailement loute la gravilé de leur position el qu'ils n'é- taieut nullement assurés de sortir de ce mauvais pas à leur avanlage. À trois heures, ne voyant pas les troupes appa- raîlre, nous nous mîmes à able, comme à l'ordinaire.

A peine élions-nous à moitié du repas qu'une des senti- nelles placées en vedeue sur les. combles. du château vint annoncer l'approche de l'ennemi.

Chacun prit alors son fusil et se leva ea silence et sans précipitation, + Il était évident pour moi qie, si nous étions vainous, les troupes républicäines paieraient cher leur triomphe,

L'immense dispraportion qui existait entre nos forces et celles de l'ennemi était, jusqu’à un certain point, compensée par nolre position. Le mur fort solide et le fossé profoud qui entouraient la Jupellière ous donnaient une grade sécurité et offraient de sérieux obstacles aux bleus !

— Quelle est votre opinion sur l'issue probable du siège que nous allons soutenir ? demandai-je à un chef chouan nommé Mousqueton, devenu depuis trop c'lèbre, hélas! par sa cruauté,

— Dieu seul le sait, me répondi Toute-ois, je pense que si les bleus n'ont pas amené avec eux du canon, ils au- Taient mieux fait, dans le: propre intérêt, ‘e ne pas se déranger!

Je ne fatiguerni pas le lecte-r par le récit détaillé de ce combat; il lui suflirade savi ‘a l'approche de la nuit une ouverture, assez large pour donner passage à ceux hommes marchant de front, existait dans le mur qui en‘ourail la Ju- pellière. L'artillerie ennemie avait fonctionné ajec autant de Précision que de bonheur.

La grande question, Le point important pour les républi- cains étail de passer à travers celte brèche et d'arriver jus- qu'à la porte du châleau : mais celte lâche, heureusement pour nous, présentait une grande difficulté. En effet, les chouans, placés à couvert dans les appartements, à vingt pas au plus de la brèche, abattaient à coup sûr les républi- cajus qui voulaient tenter ce périlleux passage.

11 était incontestable pour moi que les assiégeants alten- daient les ombres de la nuit pour monter à l'assaut, et je ne doutais nullement que, grâce aux forces si supérieures aux nôtres dont.ils disposaient, ils ne réussissent dans leur allaque.

La seule chance de.salut qui me- restait était de parvenir à me sauver en mellant à profil l'cbscarité de la nuit, Cette chance, on le voit, élait bien minime; n'importe, je m'y cramponnais avec toute l'énergie du aésespoir. Pendant une légère suspension des bostilités, employée sans doute par 18 républicaius à ramasser leurs blessés et leurs morts, Ausehue vint ine trouver,

— Eh bien, mou vois pas trop de quel d'affaire? El toi?

— Hélas! moi non plus, je ne ie vois pas!

— Alors, donne-moi une poignée de main, et si nous ne nous revoyons plus, sois persuadé qu'en mourant ma der- nière pensée aura élé pour toi!

Il y avait tant de résigation dans ces simples paroles que je me sentis tout attendri,

J'allais répondre à mou brave ami, lorsque des cris de joie et d'enthousiasme reteptirent daus la grande salle du


pure ami, me dil-}, ça va mal! Je ne lle façon nous parviendrons à nous tirer


château et arrivèrent jusqu'à Ja cour intérieure -où, nous nous trouvions en ce moment, Anselme el moi; tous les deux nous nous regarddmes avec un étonnement qui tenait de la stupéfaction, car jl nous était impossible de deviner quel pouvait être le motif de ces exclamations triomphantes, si peu en rapport avec notre position désespérée,

— Les troupes républicaines, rebutées par notre opiniâtre résistance, auraïent-elles abandonné le siége de la dJupel- lière? me dit enfin Anselme,

— Cela me parait peu probable, allons voir ce qui se passe,

Lorsque, dix minutes plus tard, nous entrèmes dans la grande salle du chateau, nous apercûmes les chouans qui agitaient leurs chapeaux en l'air en signe de joie, et ent raient un jeune homme dont la mise un peu ihéätrale faisait admirablement bien ressortir la taille bien prise et élancée.

Ce jeune homme, qui pouvait avoir de vingt-cinq à vingt- six ans, était doué d'un visage admirablement beau : ses grands yeux noirs pleins d'expression et de feu, son teint un peu pâle, ses dents blanches, sa fine moustache, el par- dessus tout l'air de graid seigneur qui régnait dans toute sa personne, formaient un étrange contraste avec les natures énergiques, mais communes et vulgaires, des chouans qui l'entouraient.

. — Quel est cel inconnu, et comment a-1-il pu pärvenir jusqu’à nous? dis-je à Anselme,

— Parbleu! ça ne peut être que M. Jacques, me répon- 1H ju à la façon dont-il s'y est pris pour passer à travers les lignes ennemies, ou au stratagème dont il s'est servi, que nous importe de Le savoir? L'essentiel, puisqu'il est, dit-on, un si grand homme de guerre, c’est de le pos- séder,

Lorsqu l’enthousiesme produit par sa présence se fut un

peu calé, M, Jacques prit la FEules

— Mes amis, dit-il d'une voix claire et vibrante, en s'a:

dressant aux chogans qui le contemplaient avec un respect superstitieux, je vous &i donné un rendez-vous à la Jupel- lière pour vous conduire à une expédition importante. Je vous remorcie d'avuir élé exucls. Demain, nous enlrerons eu campagne.

Ces paroles, prononcées avec un calme parfait et accom- agnées d'un bienveillant sourire, me parurent étonner eaucoup les assistants,

— Monsieur Jacques, dit le chouan Mousqueton, voulez-

vous we permeltre de vous adresser ane question ?

Faites, mon ami; je suis prêt à vous répondre,

— Vous nous parlez d'une expédition que vous avez pro- jetée, et vous nous annoncez que nous entrerons demain en casipagne, soil; mais ne faudrait-il pas d’abord rous dé- barrasser des bleus qui uous tieunent’bloqués?. Geli me semble, seuf opinion contraire de voire part, plus pressé que le reslei

— Ést-ce sérieusement que vous me dites de telles choses, Mousqueton? demanda M, Jacques d'un air un peu moqueur et 2n caressant, par un gesle lent et gracieux, sa fine mous- tache,

— Comment! si c'est sérieusement, monsieur Jacques L répéla le chouan slupéfail, Mais il me semble que notre po- sition est assez grave pour que...

— Ah! Mousqueton! s’écria M, Jacques en interrémpant le chouan d'un air mailié plaisant, moitié sévère , Eles- vous donç si changé depuis que je ne vous ai vu, que vous vous préoccupiez d'une semblable misère? Auriez-vous mis en doute un seul instant que les bleus-qui nous. assiégent pourront résister à nos efforts, lorsque l'envie nous prendra de nous occuper sérieusement de les melre en fuite? N'est-ce pas, mes amis, continua Jacques en élevant la voix et en inlerrogeant par un rapide regard leschiouans piacés à ses clés ; n'est-ce pas que VOUS savez Lous que nous allons battre l'ennemi?

lui répondis-je; enfin,