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LUCILE. 47


— Certainement, oui! oui! répondirent ces mêmes hommes qui, peu d'heures auparavant, se croyaient perdus, et qui en ce moment, quoique l'état des choses ft toujours le même, ne doutaient plus de la victoire. Es

—Et pourne pas perdre de temps, reprit M. Jacques, nous allons commencer {out de suite n0S opérations. Dans une heure d'ici les bleus seront loin de la Jupellière !

La façou dont M, Jacques s'y prit pour nous retirer de notre position critique fut simple au possible; comme toutes les chuses simples, elle réussit à merveille,

Ayant remarqué que le vent portait sur l'ennemi, il fit allumer dans la cour, devent la brèche, une centaine de bottes de foin mouillé qui produisirent une épaisse fumée et nous dérobèrent bientôt aux regards des bleus. Dix choufas, placés devant la brèche, reçurent l'ordre de soutenir une Lusillade nourrie, tandis que M. Jacques, se meltant à la tête des (rente hommes qui lui restaient, sortit du, château par les derrières, et, divisant sa petite troupe en deux colonnes, tomba bientôt, par deux côlés opposés, sur les flancs de l'ennemi, “a

Les bleus s’attendaient {element peu à être attaqués, car ils connaissaient le petit nombre de chouans que renfermait le château, qu'ils crurent à une surprise et reculèrent en désordre,

Les chouans de M. Jacques, exaltés par ce premier sue cès, enivrés par la présence de leur chef et ne doutant plus de la victoire, redoublèrent d'impétuosité, eu s'élancèrent à la baïonnette, — en vrais fanatiques, — sur les bleus déjà ébranlés, qui, à ce choc, se figurant avoir effaire à des for= ces de beaucoup supérieures aux leurs, se débandérent et prirent lafuite”eñ jélant, pour mieux. sesauver, leurs armes sur leur passage, +

Une demi-heure plus tard, des douze cents hommes qui naguère assiégeaient là Jupellière, il ne restait plus qu'une centaine de morts.

Je laisse à penser au iecteur les transports de joie qu’é- prouvèrent les chouans de ce triomphe si inespéré et si mer-

leux. Je suis persuadé que, sur,un. signe de lui, ils se seraient mis à genoux devant M, Jacques el l'auraient adoré cunime un être d’une nature supérieure ; mais le mystérieux jeune honime, loin de tirer vanité de l'éclatant succès qu'il venait de remporter, imposuit, au contraire, silence aux. dé.


monsirations d'admiration et de reconnaissance dont il était l'objet. Cette modestie ne ft qu'ajouter encore à la bonne opi-

nion que à mes yeux.

Soil que M. Jacques, en se rendant à la Jupellière, eût laissé dérrière lui des (oroes considérables, sur lesquelles il comptait, soit qu'il eût la convictioz-que les républicains n'oseraient plus revenir aluquer de sitôt le château, M. Jac- ques, dis-je, une fois la déroute des bleus accomplie, nè Prit aucune précaution, et né daigna pas même eavoyer des éclaireurs battre la campagne.

L'heure du souper venue, nous nous mimes donc à table comme si rien ne s'était passé, seulement ce repas difléra durtoutau tout de notre diner dé l'après-midi. Plus de fronts mornes el soucieux, de fron(s plissés par des réllexions pé- nibles, d'oreilles tendues au moinure bruit. Partout régnait une gaieté franche, bruyante mème, presque voisine de l'orgie.


is déjà de lui el le grandit de beaucoup encore



XI

Je remarquai que pendant tout le temps du repas, M. Jac- ques, assis près. de Lucile, se montra pour la jeune femme dun respecl plus profond qu'affeclueux. Je compris que

les regards qui l'épiaient, il tenuit à se montrer in eaux passious vulgaires de l'humanité, et que cette

Téideur qu'il affichait daus sa contenance ne se trouvait pas dans son cœur, = É


Vers les dix heures du soir, M. Jacques se leva de table, Lucile et la vieille marquise étaient déjà parties, — et s’ar- rélant devant Anselme et moi

— Messieurs, nous dit-il en nous saluant avec une grâce charmante, si vous ne vous sentez pas par trop fatigués, et que vous consentiez à m'accorder une heure de votre lemps, je Vous serai extrèmement reconnaissant ; vous auriez, en ce cas, la bonté de me rejoiudre dans ma chambre lorsque vous aurez fini de sonper,

— Nous sommes à vos ordres, répondis-je en me levant.

— Eh bien! alors dans une demi-heure, nous répondit-il en s'éloignant. es

— J'ai peut-être tort, mie dit alors Anselme à demi-v ix, mais je suis intimement persuadé qu'avant deux jours d'ici, M. Jacques né pourra plus nous souffrir ni loi nimoil

— Es-tu fou ? pourquoi cette peusée? quel sujet d'inimi- tié veux-lu qu'il existe entre nous?

— Lucile sait que je possède son secret, et connaissant bien que ma liaison avec loi est intime, elle se doute aussi robablement que je Le l'ai confié, me répondit-il; or, cette lemme, craignant le tort que nous pourrions lui causer au- près de M. Jacques, mettra tout en œuvre pournaus brouiller | avec | elle est fine et rusée au delà de toute expression, tenace dansses résolutions, et peu scrupuleuse, — du moins telle est mon opinion, — dans le choix de ses moyens : elle -

reussira, Je juge Lucile aussi, si ce n’est plus sévèrement, que


lu la juges toi-même, répondis-je, mais mon opinion differe

de la lienne sur la façon dont elle se conduira envers nous, Je crois au contraire quelle nous accablera de prévenances et de faux semblants d'amitié. A quoi lui servirait en effet de se déclarer tout à coup nolre ennemie et de commencer les hostilités ? à nous indisposer contre elle...

— Je ne prétends pas, me dil Anselme en m'interrom- pant, que Lucile changera à propos de rien de marières avec nous !.… Je crois comme toi qu'elle nous prodiguera ses plus gracieuses alientions e ses plus séduisantes préve- nances, IDais Lu verras Si, pendant que ses yeux nous sou- rieni, sa main ne creuse pas une mine sous nos pieds! Jouons serré el tenons-nous Feu sur nos gardes !

Après nous être encore entrelenus pendant quelque temps sur ce sujet, Anselme et moi nous quitlâmes la table pour nous rendre à l'invitation de M. dacques. Nous le tronvames ca entrant dans la chambre qu'il occupait, el qui était la plus belle et la plus vaste, du château, se promenant de long en large et d'un air pensif,

Eo nous voyant entrer, il vint vivement à notre rencontre, el nous tendant les mains : . "

— J'ai à vous remerciér, néSsIeurs, nous'aft-il avec efu- sion, de Lout ce que vous avez fait pour Lucile | Croyez que le jour le plus heureux de ma vie serait celui où il me serait donné de reconnaitre, même au prix de mon sang, les obli- gatious infinies que je vous dois,

Nous ‘voulümes nous récrier, Anselue et moi, mais M. Jacques nous coupant la parole :

—— Il est inutile que vous essayez d'amoindrir votr: belle corduite, nous dit-il, la reconnaissance n'est pas, loin de là même, un sentiment qui répugue à mou cœur, Lucile m'a raconté, avec vos dangers, et les alleutions délicates que vous avez eues pour elle, et le respect afféclueux que vous lui avez loujaurs montré! Aussi, messieurs, entre vons el moi, si vous voulez bien le permellre, c’est à présent à la vie et à la mort!

Il y avait un tel accent de franchise dans la parole de M Jacques que je me sentis pris d’une sympathie vive el pro fonde pour lui. Je compris l'ascendant qu'une {elle nature devait exercer sur ceux qui l'approchaient,

— Ga m'a l'air d'un fièrement bon jeune homme et d'un crine cœur que M. Jacques, me dit Anselne lors jue nous eùmes quitié.le mystérieux héros de la chouannerie, et que nous nous relrouvämes seuls, eL penser qu Le coquine de Lucile! Mille tonuerres ! sais-lu que j'ai été au wioueut de tout lui raconter, moif ; F

— Quelle imprudeuce, Anselme ! Et puis (à, franchement,