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Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/51

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LUCILE, : is:

Les sentiments qu'Anselme venait d'exprimer étaient les miens, Aussi les approuvai-je de tout mon cœur, Nous cün- Yinmes, après une longue conversal que, nous accompli- rious au plus tôt notre projel de rentrer dans la vie privée; ensuite j'insistai Lellement auprès de mon brave eL excellent compagnon d'armes pour qu’il. m’accompagnât dans ma fa- mille, qu'il finit par céder aux instances.

Nous passämes le reste de la journée, qui me parut durer à peine une heure, à construire des châteaux en Espagne, Hélas! l'homme propose, mais Dieu disposel Que nous étions loin de nous attendre, pendant celte causerie intime, aux événements qui devaient sous peu renverser si tragi- quement nos projels! Le: lendemain, après une délicieuse nuit de repos, et l'esprit égayé par d'heureux songes, je me rendais à la salle à manger, espérant ÿ rencontrer Anselme, lorsqu'un des domestiques du château m'apprit que M. Jac- ques avait, à la pointé du jour, envoyé chercher mon ami.

Cette nouvelle me contraria vivement, car, tonnaissant le caractère généreux d'Anselme, je craignis qu'il ne se fût Jaissé arracher une promesse, ou charger d’une mission qui le replongeât dans la politique, :

Après avoir frugalement déjeuné, je me disposais à aller faire un tour dans les environs, lorsqu'en franchissant le seuil de la porte du château, j'aperçus devant moi Anselme qui revenait. A celte vue, je poussai un cri de joie et je amélançai vers lui!

— Ah! que je suis heufeux de {e revoir, m'écriai-je en m’élançant daus ses bras, j'avais peur qu'oubliant tes réso- lutions tu ne te fusses embarqué dans une mauvaise af- faire!


— Cher ami, dit Anselme d'une voix tranquille et en m'ecarlant doucement de lui, je te remercie bien de Les 16- moignages-d'intérêt, mais lu viens de me faire horriblement souffrir ec me prenant ain bras le corps. car je suis

lessé


— Tu es blessé, m'écriai-je en remarquant alors, pour la première fois, la päleur cadavéreuse du visage de ton ami.

— Une égralignure, cher ami, mais une égralignure pro- fonde! une balle dans l'épaule.

— Raconte-moi comment cela est arrivé.

— Ga ne sera pas long, On m'a tiré un coup de fusil, on a visé juste el j'ai été louché : voilà tout,

— Mais qui Va tiré ce coup de fusil? repris-je, tout en aidant Anselme à rentrer au château, car il avait perdu beaucoup de sang, et il était si faible qu'il se soutenait à


eine.

— Ah! voilà le beau de l'histoire! me répondit-il de même voix tranquille; mais sais-tu que M. Jacques m'a en- voyé chercher ce matin *

— Oui, on m'a dit-cela, en! l'on l'a trompé, C’est Lucile, du moins jen 1 intime, qui s’est servie de ce prétexte pour

me faire tomber dans un piége |... Quant au gredin dont la balle est encore logée dans mon épaule, tu Île connais de longue date : c'est Kernoc!.…

— Kernoc! répétai-je avec horreur. Oh! oui, en ce cas, Lucile doit ètre coupable.

—"Tiens !"Mais cé ne fait pas un doute.

— Et ce misérable Kernoc ?.….

— Kernoc court encore. Ahl's'il ne m'avait pas tiré d'aussi loin, el avec l'arrière-pensée, sans doute, que s'il ie manqueit je saurais bien le punir de son crime, — ce qui dui à fait prendre la fuite à toutes jambes, — il ne serait

lus vivant, Mais il avait une telle avance sur moi que j'ai É di renoncer à l'atleindre, Si (u le trouves, par hasard, rô-

dant dans les environs, fais-tuoi donc le plaisir, cela ne tou- che en rien à Ja politique, de Ini loger de ma part une balle dans la tête! ça m'obligerait.

Anselme était d’une constitution si robuste et si puissante qu’il arriva jusqu'à sa chambre sans perdre connaissance, Je l'aidai à se coucher : el je m'eu fus, car personne encore au château ne connaissait cet accident, chercher du se- cours,

Le soir même, j'eus, grâce au zèle déployé par notre ho

vs,


tesse, la vieille marquise, la joie de voir un médecin assis au chevet de mon pauvre ami. À

LA blessure d'Anselme, quaiqu'elle n'offrit aucun danger imuinent, était grave et profonde; elle le retint cloué pendant plus de deux semaines sur un lit de douleur.

Eufn, grâce à Dieu, il entra en convalescence, et le doc- teur lui permit de se lever.

Inutile d'ajouter que pendant toute la durée de sa mala- die, je ne quittai pas un moment mon excellent ami, Sans cesse à ses côtés, je relevai son moral affecté, en lui pré- sentant sous de séduisantes couleurs, la nouvelle vie de calme et de bonheur qui nous attendait : Anselme paraissait imécouter avec un vif plaisir. a +

Kernoc, Lucile et M. Jacques avaient aussi une large part dans nos entreliens; autant celte dernière personne nous inspirait de sympathie, autant nous éprouvions de l'aversion et'du mépris pour les deux autres. Anselme ne pouvait s'empêcher par moments de parler vengeance, La lâche agression dont il avait été victime lui tenait au cœur, et s’il regrellait de s'éloigner du théâtre de la guerre, c'était seu- lement parce que son départ de la Mayenne devait assurer l'impunité de Kernoc.

Le troisième jour de son entrée en convalescence, An- selme oblint de son docteur la permission de faire un tour de promenade. Heureux de la joie que lui causait celle sortie, je m'empressai de lui offrir mon bras et de me met- tre à ses ordres. s

Nous venions à peine de franchir le seuil de la porte du château, lorsque nous fûmes accostés par un enfant âgé d’une douzaine d'années, qui nous demanda si le château qu'il apercevait devant lui n'était pas celui de la Jupellière,

ä, mon ami, lui répondis-je, Désires-lu y voir quel- qu'un? Parle, je suis moi-même du château.

A ma question l'enfant sembla hésiter et ine regarda avec de grands yeux élonnés comme s'il ne comprenait pas mes paroles ; puis, semblant prendre un pari :

— Eh bien! oui, me répondit-il après un moment de si- lence, je voudrais voir une jeune dame qui demeure à la Jupellière ! la connaissez-vous ?

— Est-ce de Lucile que tu veux parler, lui dit Anselme

ui serra mon bras sous le sien en prononçant ces paroles : Si c'est Lucile que tu désires voir, elle est sortie ce matin et elle ne rentrera que ce soir. Il faudra l’attendre !

Cette réponse parut contrarier beaucoup l'enfant qui ré- péla avec mauvaise humeur :

— L'atiendre! mais moi aussi, ma mère m'attend. Dites une, monsieur, continua-t-il en s'adressant à moi, après un nouveuu silence, si je vous confiais un papier que l'on m'a donné pour le porter à cette dame;-me promettriez-vous de le lui remettre dès que vous la verrez,

— Oui, mon ami, dit Anselme, d'un air parfaitement in- différent.

— Là, bien sûr, je puis compter sur vous ?

— de lai dit oui une fois ; c’esl assez, Après tout, si tu préfères attendre jusqu’à ce soir le retour de Lucile, à nous confier ce papier, libre à loi. Au revoir,

. L'enfant porta alors la main à la poche de sa veste el en lira à moilié une lettre : mais, se ravisant tout à coup, il priLson élan et se dirigea en courant vers Le château,

— Maudit enfant ! me dit Anselme. J'ai eu presque envie un moment de l'assommer pour m'emparer de ce billet ui, j'en suis persuedé, contient la preuve d'une nouvelle inta= mie,

A peine mon compagnon achevait=il de mois, quand nous aperçümes l'enfant qui rever clé,

Voyant que nous ne cherchions plus à lui parler, il se di- rigea de lui-même vers nvus, et n6us tendant une lettre :

— Une des servantes du château m'a appris que vous étiez les anis de la dame, nous dit-il, vous lui remettrez le papier dès qu'elle reviendra.

— Cest convenu, répondit Anselme en s'emparant de la lettre,


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