Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/50

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Ja main sur la conscience, es-tu bien certain que Lucile soit coupable ? N'avons-nous pas à nous accuser de l'avoir jugée avec trop de sévérité et de précipitation!

— Dame! la main sur ma conscience, répéta mon com- pagnon, c'est bien grave, cela; s'il fallait parier vingt contre a, je parierais.

22 Qui, mais S'il fallait la juger!

— C’est tout autre chose !. Je n'abstiendrais !..

— Eh bien, en ce cas, comme c’esl, non pas un soupçon qu’il Le faudrait émeltre, mais bien un-jugement que tu de- vrais prononcer devant M. Jacques, je te conseille de L'abs- tenir. Songe donc, si lu te trompais, au coup affreux que tu porterais à ce noble jeune homme, et à la détestable opinion que tu lui donnerais de Loi!

— Parbleu, je sais tout cela aussi bien que toi, et la preuve, c'est que je me suis Lu; ça ne fail rien, mon silence me pèse el me puraîl une lâchcté.

— La seule chose que nous ayons à faire, Anselme, c'est de redoubler de surveillance à l'égard de Lucile et d'attendre les événements,

— Oui, pourvu toutefois qu’ils ne nous surprennent pas ! As-tu remarqué que depuis celle histoire de Kernoc, voilà déja deux fois que les troupes républicaines nous tombent dessus à l'improviste? Pourtant Francœur, lorsqu'on est venu l’atlaquer, se croyait hors de l'atteinte des bleus ! Jene prélends pas que ce soient là des preuves, je dis seulement que c’est drôle : voilà Lout :

Le lendemain de la levée du siége de la Jupellière, M. Jacques emmena avec lui (ous les chouans qui se trouvaient au château, excepté Anselme et moi, qu'il pria de rester, en nous promellant de nous donner bien(ôt de ses nouvelles

— Pourquoi cette exclusion? me demanda mon compa- gnon, ne s done plus bon à faire le coup de fusil ? Voilà déjà les malices de Lucile qui vont leur !

— Tu le trompes, Anselme; ce que lu appelles une exclu- sion me semble, au contraire, une preuve d’amilié et de con- fiance; car il est probable que M. Jacques te garde en ré- serve pour quelgue mission difficile à dingereues


— Ge qui signifie que Lucilene serait pas fâchée de m’em- barquer dans une mauvaise affaire ou de me faire tomber dans une embuscade. Tiens, vois-tu, cher ami, continua An- selme après un moment de réflexion, voilà si longtemps déjà que je porte un fusil et que je traîne les grandes routes, qu'il m'arrive par moment de songer au repos. Si le général Hoche lient les promesses qu'il a faites et que le gouverne- ment de la République entre franchement, comme cela m'en a tout l'air, dans une voie honnèle, je ne vois pas pourquoi je continu: à me battre pour un Pré dant dont la France ne se soucie plus? Je suspens alors mon fusil au mur de la première ferme que je trouve sur mon chemin et.où l'on consentira à me ES en retour de mon travail, le strict nécessaire pour vivre. Quant à loi, cher ami, profile de la première amnistie que l'on proclamera, — el on en proclame de nouvelles chaque jour, — pour rentrer dans le sein de ta famille.

— Je ne puis exprimer la joie que tu me causes en par- lant ainsi, Anselme, m'écriai-je en serrani fortement la main de mon ami. Ah! certes, oui, lu as raison! que nous im portent à nous, chétifs et obscurs. les ambitions des partis, Mais je l'en prie, apprends-moi donc d'où vient le chan- gement extraordinaire qui s'est opéré en Loi?

— Depuis que j'ai vu massacrer ous les habitants de Saint-Laurent-des-Mortiers ! Celte scène sanglante m'a pro- duit, quoique je n’en aie rien laissé paraître sur le moment, une impression profonde et salutaire! J'ai vu, comme spec- lateur, ce qui m'aurait échappé sans doute si j'eusse été ac- teur de ce drame, c'est-à-dire que les passions politiques finissent par changer les honnêtes gens en animaux féroces ! Se battre lorsque Robespierre et ses aides bourreaux déci- maient la France était un devoir, car on doit défendre sa vie contre des brigands ; mais à présent que Robespierre est tombé et que la guillotine semble devoir se reposer, je crains que ceux qui continueront a lutte ne soient plus que des ambitieux ou ‘des fanaiques, et comme je ne liens nul- lement à être exploiteur ou dupe, je songe à i'éloigner sans brait de la lutte, et à goûter enfin un peu de repos,