Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LUCILE. à ” 7


Associés, lorsque j'appris, un dimanche matin, en at, qu'un des nôlres venait d'être mis aux fers.

De quel délié ou de quel crime était-il accusé? c'est ce que l'on ne pul m'apprendre. .

IL faisait ce jour-là un lemps obscur et affreux, de la pluie, un grand vent. Les officiers avaient l'air sombre et fa- rouche; 1ous presseutious un Walheur, Hélas! nous ne nous “trompions pas,

Un peu après diner on nous donna l'ardre de descendre : nous crûmes que nous gènions lu manœuvre el nous obétmes Sans allacher aucune importance à celle mesure, À peine là moitié des prêtres élait-elle descendue dans l’horrible ca- chot qui nous servait de dortoir, — dortoir dont je vous parlerai tout à l'heure, — qu'en officier plaça deux senti- nelles devant l'escalier avec la consigne de ne plus laisser passer personne.

J'étais descendu des premiers, et j'attendais tranquille: ment à ma place le résultat du mouvement extraordinaire qui se faisait dans le vaisseau. Je me trouvais justement placé äu-lessous de la partie du bâtiment qui était alectée à l'équi: page. À travers les murmures que faisaient dans notre ca- chot environ deux cents hommes qui parlaient tous à la fois, débitant chacun leurs conjectures, j'enteudis très-distinete- ment au-dessus de ma tête un bruit d'armes à feu que l'on remuait, Je ne sais quel sinistre pressentiment s'empara tout à coup de moi el glaça mon sang dans mes veines; l'idée, ou pour être plus exact, la cerlitude me vint que tous ces apprêts se rapporlaient à notre matheureux compagnon mis aux fers, Je communiquai ma crainte à mes plus proches voisins; mais (ous savaient si bien la complète innocence ce notre cümarade, el fl était, en efret, tellement absurde de penser qu'il courait le moindre danger, qu'ils se moquèrent de mes folles uppréhensions : leur tranquillité me ras ui peu, mais elle ne put cependant m'ôter l'idée que l'on devait infiger à notre ami R.. une punition moindre à la vérité

ue la mort, mais toutefois pire que les fers, Coume j échissais, cherchant à deviner quel pourrail être ce châti- ment, nous entepdimes relentir de l'extrémité opposée du bâtinent, sur le pont, un bruit pareil à celui d'un coup de canon ou de‘flusieurs coups de mousquels tirés à la fois,

Ceux de mes confrères qui étaient les plus confiants com- mencérent alors à éprouver de séricuses inquiétudes sur le sort de l'inforluné R... Quant à moi, je ne doulais plus de sa mort.

En effet, un moment après, arriva parmi nous un des prèlres restés sur le pont.

— Priez Dieu pour l'inlorluné R..., nous dit-il avec une émotion prolonde, il n'est plus! Qu vient de le fusiller sous mes yeux!

A ces mois, Vous devinez sans peine la consternalion et le morne silence qui -régnërent daus noire cachot. Nous 10m- bâmes à genoux et offiimes. notre, douleur à Dieu. Je ne crois pas, si ce n'est lontefois à Limoges, avoir passé de ma vie ua aussi terrible quart d'heure que celui qui suivit l'exé- cution de notre malheureux ami. Je benirai, le rèste de mes jours, la divine. Providence de: n'avoir. pus. permis que je fussé Lémoin de cet horrible assassinat ! 0

Voici, come nous lapprimes peu après, quel avait été le motif de ce crime odieux.

Ua misérable de l'équipage, probablement afin d'obtenir de l'avancement, avait été trouver le capitaine des Deur- Associés et lai avait déclaré qu'un prêtre s'était vanté en sa présence que d'ici à huit jours, si ses compagnons voulaient l'aider duns son entreprise, il se faisait fort de s'emparer du navire,

Ce fut sur ce propos que, sommé par le capitaine de dé- clarer le noin du coupable, le matelot, poussant jusqu'au bout sûn indigne mensonge, el ne voulant pas passer pour un calomuiateur, designa au hasard notre lufortuné cama- rüde,

R. ssilôt arrèlé, fut mis aux fers, et le capitaine assémbla sans plus lurder le jury militaire on le conseil de guerte, Alors, sans confronter l'accusé avec son déuonci


Leur, sans lui donner la liberté de se défendre, sans même le faire comparaître, on le condamnu à mort.

A puine cel iuique jugement reudu, on le commnniquasà °R.., en lui donaaat (rois quarts d'heure pour découvrir les prélendus complices de son prélendu complot. LI lui eat été impossible, puisque rien de (out. cela n'existait, de faire un aveu; il dut douc se contenter de protester. de ‘son inno- cence. - À

Les trois quarts d'heure écoulés où fut le chercher pour le conduire, ou, pour être plus exact, pour Le traîner au

supplice. q

— Je ne demande qu'une grâce, leur dit R:…, quine perdit un instant son saug-froid, celle d'étre assisté à mes derniers momeuts par un confesseur

Cette faveur lui fut brutalement refusée. ;

Arrivé sur le pont, où fit mettre nolte.frère à genoux, puis on l'attacha à un poteau, le visage tourné vers ses bour- reaux qui le couchaieut en joue presque à bout portant; on ne prit pas mème la précaution, que prescrit en-parñeil cas l'humanité, de lui bander les yeux, et ce ne fut qu'après un intervalle assez long pour bien lui laisser savourer toute l'horreur de la mort inévitable qui l'attendait, que neuf balles l'atieignirent à la fois et lui firent sauter le cran

Parvenu à cet endroit de son récit, notre nouveau compa- gnon d'infortune s'arrêta, et, poussant un-profoud soupir, il resta pendant quelques secondes plongé dans une médlita- tion profonde; nous devinämes aisément quelles devaient être ses pensées, el nous respeclämes sou silence,

— Ah! mes amis, nous: dil-il enfin en reprenant avec effort la parole, je ne puis me défendre, chique fois que.ce sousenir sanglant se présente à ma mémoire, d'une doutou- reuse émolion. J'ai vu périr, hélas ! beaucoup de ines con pagnons, mais au moins la maladie n'avait préparé, depuis longtemps à leur mort, tandis que la fin si subite, jmprévue et si dramatique de uotre frère R*** ua frappé. commerun coup de foudre. ta

À Loutes les peines morales que nous énrouvions à bord des Deux-Assaciés, ajoutez-en une qui est si sensible pour les âmes lanL-soit peu élevées, que.la eugson la-plussin- cère peut seule la leur. rendre supportable : cest l'humilias lion, Je ne parle pas seulement de celle qu’il y avait, pour des hommes qui ont joui d'une certaine aisance, à nraiquer gé- néralement de -lout, à se voir vèlus de-haillons, couverts de

vermine; wais Ï: parle principalement de l'huwiliation que nous causaient les ordres impérieux d'insolents subalternes, qui d'un seul signe de lèle nous faisaient, mouvoir, nous étions quatre cents prêtres à bord, comme un seul homme; des invectives des derniers mousserols qu'il [allait fair eseme blaut dene pas entendre, et.surlouLde-la mauvaise humeur, des caprices, de la hauteur inouïe d’ancieus rameurs {ravess lis en officiers, qui.ne cessaient d'iusuller à notre infortyne par leurs grossières railleries; qui après s'être fait deman- der les dégoütants haillons d’un confrère mort, ou une mau- vaise cuiller de hois, aussi souvent el avec autart (l'instance que l'on en eûl mise jadis à solliciter un régiment on une abbaye, s'amusaient à la fin à nous jeter dédiigueusemeut la cuiller ou les hillous du haut de ‘a cloison qui les sépa= rail de nous, el trailaient d'orgusilleux ceux qui ne bri- uvieñt pas de pareilles faveurs! Tel était l'étal.extrème a et d'abjeclion exlérieure où l'on nous avait ré- uits.

Quant à notre régime alimentaire, je vous l'ai déjà dit, il était affreux ; notre nourriture quotidienne se composait le plus souvent de quelques gourganes ou fèves de marais de la petite espèce, bouillies tout simplement dans l'eau qui servait à tremper noire biscuit. Ces fèves, outre qu’elles renfermaient des millions de charsiçons, n'éléient jamais cuites, à raison de. leur vétusté, qui Les mellait à l'épreuve du feu le plus àpre. fr. Le jour où l'on daignail aous exempter de manger de.ces gonrganes à notre repas du matin, Où nous donnait,de là morue où de la viande; mais quelle viande et quelle noras De la viande à moïlié cuite, eu si pelite.quaulité et d'une si mauvaise qualité, qu'il fallait être euragés, el l'expression