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des effets très surprenants. Quelques uns d’entre eux consentirent même à profiter du milieu politique. Navarin attira leurs yeux vers l’Orient, et le philhellénisme engendra un livre éclatant comme un mouchoir ou un châle de l’Inde. Toutes les superstitions catholiques ou orientales furent chantées dans des rhythmes savants et singuliers. Mais combien nous devons, à ces accents purement matériels, faits pour éblouir la vue tremblante des enfants ou pour caresser leur oreille paresseuse, préférer la plainte de cette individualité maladive qui, du fond d’un cercueil fictif, s’évertuait à intéresser une société troublée à ses mélancolies irrémédiables. Quelque égoïste qu’il soit, le poëte me cause moins de colère quand il dit : Moi, je pense… moi, je sens…, que le musicien ou le barbouilleur infatigable qui a fait un pacte satanique avec son instrument. La coquinerie naïve de l’un se fait pardonner ; l’impudence académique de l’autre me révolte.

Mais plus encore que celui-là, je préfère le poëte qui se met en communication permanente avec les hommes de son temps, et échange avec eux des pensées et des sentiments traduits dans un noble langage suffisamment correct. Le poëte, placé sur un des points de la circonférence de l’humanité, renvoie sur la même ligne en vibrations plus mélodieuses la pensée humaine qui lui fut transmise ; tout poëte véritable doit être une incarnation, et, pour compléter d’une manière définitive ma pensée par un exemple récent, malgré tous ces travaux littéraires, malgré tous ces efforts accomplis hors de la loi de vérité, malgré tout ce dilettantisme, ce voluptuosisme armé de mille instruments et de mille ruses, quand un poëte, maladroit quelquefois, mais presque toujours grand, vint dans un langage enflammé proclamer la sainteté de l’insurrection de 1830, et chanter les misères de l’Angleterre et de l’Irlande, malgré ses rimes insuffisantes, malgré ses pléonasmes, malgré ses périodes non finies, la question fut vidée, et l’art fut désormais inséparable de la morale et de l’utilité.

La destinée de Pierre Dupont fut analogue.

Rappelons — nous les dernières années de la monarchie. Qu’il serait curieux de raconter dans un livre impartial les sentiments, les doc-