Page:Dupont - Chants et Chansons, t. 1, 1855.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

geste de crèmes et de sucreries dont les familles illettrées bourrent imprudemment la mémoire de leurs demoiselles. C’était un mélange véridique d’une mélancolie naïve avec une joie turbulente et innocente, et par-ci par-là les accents robustes de la virilité laborieuse.

Cependant Dupont, s’avançant dans sa voie naturelle, avait composé un chant d’une allure plus décidée, et bien mieux fait pour émouvoir le cœur des habitants d’une grande ville. Je me rappelle encore la première confidence qu’il m’en fit, avec une naïveté charmante, et comme encore indécis dans sa résolution. Quand j’entendis cet admirable cri de douleur et de mélancolie (le Chant des ouvriers, 1846), je fus ébloui et attendri. Il y avait tant d’années que nous attendions un peu de poésie forte et vraie ! Il est impossible, à quelque parti qu’on appartienne, de quelques préjugés qu’on ait été nourri, de ne pas être touché du spectacle de cette multitude maladive respirant la poussière des ateliers, avalant du coton, s’imprégnant de céruse, de mercure et de tous les poisons nécessaires à la création des chefs-d’œuvre, dormant dans la vermine, au fond des quartiers où les vertus les plus humbles et les plus grandes nichent à côté des vices les plus endurcis et des vomissements du bagne ; de cette multitude soupirante et languissante à qui la terre doit ses merveilles ; qui sent un sang vermeil et impétueux couler dans ses veines, qui jette un long regard chargé de tristesse sur le soleil et l’ombre des grands parcs, et qui, pour suffisante consolation et réconfort, répète à tue-tête son refrain sauveur : Aimons-nous !

Dès lors, la destinée de Dupont était faite : il n’avait plus qu’à marcher dans la voie découverte. Raconter les joies, les douleurs et les dangers de chaque métier, et éclairer tous ces aspects particuliers et tous ces horizons divers de la souffrance et du travail humain par une philosophie consolatrice, tel était le devoir qui lui incombait, et qu’il accomplit patiemment. Il viendra un temps où les accents de cette Marseillaise du travail circuleront comme un mot d’ordre maçonnique, et où l’exilé, l’abandonné, le voyageur perdu, soit sous le ciel dévorant des tropiques, soit dans les déserts de neige, quand il entendra cette forte mélodie parfumer l’air de sa senteur originelle :