Page:Dupont - Chants et Chansons, t. 1, 1855.djvu/21

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dent un certain art pour bien être exécutées. Il était véritablement utile, pour donner une idée juste de ce talent, de fournir le texte musical, beaucoup de poésies étant admirablement complétées par le chant. Ainsi que beaucoup de personnes, j’ai souvent entendu Pierre Dupont chanter lui-même ses œuvres, et comme elles, je pense que nul ne les a mieux chantées. J’ai entendu de belles voix essayer ces accents rustiques ou patriotiques, et cependant je n’éprouvais qu’un malaise irritant. Comme ce livre ira chez tous ceux qui aiment la poésie, et qui aussi pour la consolation de la famille, pour la célébration de l’hospitalité, pour l’allégement des soirées d’hiver, veulent les exécuter eux-mêmes, je leur ferai part d’une réflexion qui m’est venue en cherchant la cause du déplaisir que m’ont causé beaucoup de chanteurs. Il ne suffit pas d’avoir la voix juste ou belle, il est beaucoup plus important d’avoir du sentiment. La plupart des chants de Dupont, qu’ils soient une situation de l’esprit ou un récit, sont des drames lyriques dont les descriptions font les décors et le fond. Il vous faut donc, pour bien représenter l’œuvre, entrer dans la peau de l’être créé, vous pénétrer profondément des sentiments qu’il exprime, et les si bien sentir, qu’il vous semble que ce soit votre œuvre propre. Il faut s’assimiler une œuvre pour la bien exprimer : voilà sans doute une de ces vérités banales et répétées mille fois, qu’il faut répéter encore. Si vous méprisez mon avis, cherchez un autre secret.

CHARLES BAUDELAIRE.