Page:Dupuy - La vie d'Évariste Galois.djvu/47

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apportait tous les jours, cachée dans une paire de bottes. Ils voulurent que Galois bût avec eux. Raspail s’en indignait. « Cette cantine-là, écrit-il dans ses Lettres sur les Prisons de Paris, fait mon désespoir : nos soiffeurs finissent par y entraîner tout ce que nous possédons de plus généreux parmi nos jeunes camarades. Quoi ! vous êtes buveur d’eau, jeune homme ! ô Zanetto, laissez là le parti des républicains, retournez à vos Mathématiques ! Tenez, voilà au contraire un franc luron qui vous rend raison d’un toast avec la même élégance qu’il vous assomme un sergent de ville ! […] Allons, allons, mon pauvre Zanetto ! il faut vous faire parmi nous ! acceptez pour essai ce petit verre ; on n’est pas homme sans les femmes et le bon vin ! […] Refuser ce défi, c’est un acte de couardise ; et notre pauvre Zanetto a dans son grêle corps tant de bravoure qu’il donnerait sa vie pour la centième partie de la plus petite bonne action ; il saisit le petit verre avec le même courage que Socrate prenait la ciguë, il l’avale d’un trait, non sans cligner de l’œil et se tordre les lèvres ; un second petit verre n’est pas plus difficile à vider que le premier. Au troisième, le débutant perd l’équilibre ; triomphe ! victoire ! honneur au Bacchus de la geôle ! on a soûlé une âme candide qui a horreur du vin ! […] Grâce pour cet enfant si chétif et si brave, sur le front duquel l’étude a déjà gravé, en rides profondes, et dans l’espace de trois années, soixante ans des plus savantes méditations ; au nom de la science et de la vertu, laissez-le vivre ! dans trois ans, il sera le savant Évariste Galois ! »

Une autre fois, toujours d’après le même témoin, Zanetto-Galois travaillait en arpentant la cour, pensif et rêveur, sobre comme un homme qui ne tient à la terre que par le corps, et qui ne vit que par la pensée. Les bravaches d’estaminet lui crièrent de la fenêtre : « Eh ! notre vieillard de vingt ans, vous n’avez pas seulement la force de boire, vous avez peur de la boisson. » Il monta pour marcher droit vers le danger, vida d’un trait une bouteille, puis la jeta à la tête de l’impertinent provocateur. C’était une bouteille d’eau-de-vie ! Il redescendit d’abord droit et ferme sur ses jambes, mais bientôt Raspail dut venir à son aide. Galois, au désespoir, s’accrocha à son bras, lui disant : « Que je vous aime ! et en ce moment plus que jamais : vous ne vous soûlez pas, vous ; vous être sobre et ami de la pauvreté ! Mais, que se passe-t-il dans mon être ? Je porte deux hommes en moi ! et malheu-