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Page:Durant - Études et souvenirs.djvu/4

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et toutes les places de l’auguste oratoire sont bientôt envahies. Étrangers ou Romains, princes ou sujets, dévots ou curieux, incrédules ou fidèles, ignorants ou artistes, tous, dans une sainte égalité, que la religion approuve et consacre, s’avancent, se pressent, avides de tout entendre et de tout voir.

Le Pape, pontife vénérable, entouré de tous ses cardinaux, vieillards courbés sous le poids des années et de la science, est placé sous un dais de velours appuyé contre la paroi gauche de cette chapelle, vaste comme une église vis-à-vis et à côté du grand autel, le triangle funèbre laisse scintiller les pâles lumières de ses treize cierges de cire jaune, qui l’une après l’autre, lentement, s’éteignent avec la dernière strophe de chaque lamentation du prophète, murmurée à voix basse et en intonations monotones qui en augmentent la désolante expression. Le dernier cierge, le treizième, brûle seul au sommet du candélabre symbolique, et sa lueur blafarde éclaire à peine l’enceinte sacrée et seulement assez pour en laisser voir la mystérieuse et mélancolique obscurité. Après quelques instants de recueillement, pendant lesquels cette multitude, naguère si turbulente et si tumultueuse, paraît comme frappée d’une solennelle stupeur, tout à coup, sans signal, sans avertissement, d’une sorte de galerie supérieure située à la droite de la chapelle, s’échappe comme un concert venu du ciel et chanté par des anges invisibles, une suave et divine harmonie à laquelle la majesté du lieu ajoute encore un nouveau charme. C’est le célèbre Miserere d’Allegri, sublime composition, que tant d’années n’ont pu vieillir, et qui résonne sous tes voûtes saintes avec une perfection sans rivale. Le pape auquel ce grand musicien dédia et présenta le fruit de sa religieuse inspiration en fut tellement émerveillé qu’il voulut, par un égoïsme que l’on n’ose blâmer, réserver à lui seul et à des artistes choisis par lui le privilège d’exécuter cette œuvre admirable. Il prononça une foudroyante excommunication contre quiconque chercherait à s’en rendre maître pour l’essayer ailleurs que dans sa chapelle. Mozart seul osa défier l’anathème pontifical : jeune encore,