Page:Duranty - La Cause du beau Guillaume.djvu/224

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dans son sein. Il frappait à terre avec sa canne comme si il eût donné des coups de hache à des êtres invisibles.

Bientôt il se rapprocha de sa maison. Il fallait reparaître devant cette Lévise qu’il aimait tant et pour laquelle il consentait à recevoir de telles blessures qui n’étaient point glorieuses. Elle lui était plus chère peut-être encore, mais il ne pouvait s’empêcher de la regarder comme la cause fatale de déboires futurs. Il pensait avec un regret assez amer à la bassesse de condition de la jeune fille, bassesse à laquelle il s’associait lui-même en quelque sorte et qui le ravalait au niveau de toutes les insultes qu’il prendrait fantaisie aux paysans de lui adresser. Alors il se traita de lâche, car se dressa encore la pensée que c’était lui, lui seul qui attirait ces maux à la jeune fille, sans pouvoir l’en préserver ; n’était-ce pas désolant ? Aussitôt il rappela sa vigueur et se jura qu’il en serait autrement, qu’il forcerait les gens à les respecter, elle et lui. Mais il fallait reparaître devant Lévise sans l’avoir vengée et ensevelir en soi-même le tourment de ces affronts venus par elle, mais dont elle était innocente. Pourquoi affliger Lévise en lui laissant voir ces peines ? Au contraire il se dit qu’il devait lui rendre la vie gaie et douce, et que si l’un des deux avait à porter le poids de la faute commise, c’était lui.

Il s’arrangea donc une physionomie riante ou du moins calme, qui grimaçait bien un peu pourtant. Puis cet effort même lui ayant fait quelque bien, il ne songea plus qu’à se renfermer avec Lévise dans la petite maison comme dans une forteresse où ils s’ingénieraient à vivre en plein bonheur, sans se mêler en rien au monde extérieur, sans se soucier d’âme qui vive, en fermant avec soin la barrière à toutes gens, à tous bruits, à toute communication.