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Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/103

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« Enfin, à quelle heure s’endort-on aux Tournelles ? demanda-t-il.

— Toujours la même question ! répondit Henriette.

— Je suis venu cette nuit jusqu’à la porte de la maison, mais je l’ai trouvée fermée. Il y a eu de la lumière dans votre chambre jusqu’à minuit. Dans toutes les autres on a éteint vers onze heures. J’ai vu votre ombre sur les rideaux de votre fenêtre. »

Henriette demeura toute saisie.

« Comment, vous étiez là ! s’écria-t-elle ; mais vous êtes un fou de faire de pareilles imprudences ! À quelle heure êtes-vous donc rentré chez vous ?

— À trois heures du matin.

— Qu’a dû dire votre mère ? ajouta-t-elle en secouant la tête d’un air de reproche.

— Je l’avais prévenue.

— Comment prévenue ? dit Henriette en rougissant de l’idée qu’avait dû donner d’elle à madame Germain cette visite nocturne.

— Prévenue que je rentrerais peut-être tard.

— Vous n’avez pas peur sur la route ? C’est dangereux, il peut y avoir des voleurs ! dit-elle avec un tendre effroi.

— Je n’y pense pas, dit Émile ; et il reprit : Puisqu’on ferme la porte du vestibule, je pourrais bien monter jusque dans votre chambre par le dehors, s’il y avait des points d’appui.

— Oh ! dit Henriette, on entendrait. Non, non ! si on vous trouvait !

— J’aurais toujours bien le temps de me sauver.

— Oui, vous faire tuer, n’est-ce pas ? Vous perdez la tête.

— Je viendrais toutes les nuits, interrompit Émile, voir s’il y a de la lumière à votre fenêtre, et…

— Non, répondit-elle tout agitée, je préfère sortir et aller vous retrouver.

Si je ne vois pas de lumière, continua Émile, tout singulier aussi, c’est que vous ne pourrez pas venir.

— Je viendrai ! » répéta-t-elle d’une voix tremblante.

Il y a de telles souffrances à lutter contre un désir ou une passion, qu’on ressent d’abord une profonde tranquillité à se