Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/112

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— Voulez-vous, dit le curé, me confier cette peinture ? je saurai qui est le jeune homme. »

Pierre pensait à sa femme et à Moreau. Il était contrarié d’avoir à montrer devant celui-ci ses véritables sentiments envers sa fille. Il dit assez froidement :

« C’est une imbécile ! Elle n’a donc songé à rien ? Si ça vient à être connu, on ne pourra plus lui trouver de mari. Quelle belle affaire ! Moi, je m’en lave les mains, après tout ! »

Madame Gérard rougit, malgré toute sa tranquillité de conscience, et elle répliqua vivement :

« Enfin, nous ne resterons pas les bras croisés, j’imagine ! Quand nous devrions emmener Henriette à Paris ou aux Eaux, il faut couper toute communication entre elle et ce petit drôle et la marier immédiatement.

— Interrogez Henriette, dit le président.

— Oh ! je lui parlerai » reprit madame Gérard et, afin d’être sûre de conserver le rôle de chef d’armée et de se donner celui d’apôtre doux, elle ajouta :

« Je pense que son père ne lui fera point de reproches violents, inutiles…

— Vous ferez ce que vous voudrez, dit Pierre en haussant les épaules ; je ne veux pas être responsable. » Il s’éloigna dans le salon, murmurant entre ses dents : « Encore une belle affaire ! J’avais pourtant cru que la petite ne s’en serait pas mêlée. Ça va amener une quantité de tripotages avec la mère ! Qu’elles s’arrangent toutes les deux ! Je n’aurais jamais pensé qu’Henriette !… Bon chien chasse de race, bah ! »

Ce vilain monologue, où était contenue toute la sensibilité de Pierre, ne fut pas entendu des autres personnages, quoiqu’ils écoutassent l’espèce de vague grognement qui s’échappait des lèvres de Gérard.

Les hontes ne coûtaient pas à Pierre ; il pensait qu’il suffisait de se dire non responsable pour mettre sa conscience à l’abri, et qu’en abdiquant toute initiative honorable et morale, on ne pouvait lui demander aucun compte, puisqu’il abdiquait.

À ce moment de la conversation, la tête d’Aristide apparut au dehors, à la fenêtre du salon.