Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/113

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« Ma sœur va au fond du parc, dit-il, je la suis.

— Oui, expliqua madame Gérard, Aristide est un homme maintenant, on peut le charger d’observer sa sœur.

— Il s’y entend si bien ! répliqua ironiquement le père. Du reste, mon cher Moreau, vous le stylerez. »

Pierre croyait encore que cette honteuse ironie constituait de sérieuses représailles, et il était toujours très fier de lui-même lorsqu’il l’exerçait.

Aristide avait été très joyeux de se voir créer le garde du corps de sa sœur. Le matin même, il était venu s’installer dans le couloir sur lequel donnait la chambre d’Henriette, apportant une vieille guitare, et aussitôt qu’il entendit remuer, il chanta une chanson d’amoureux. Cette farce causa une certaine peur à la jeune fille, parce qu’elle comprit qu’elle serait sans appui au milieu des siens.

Henriette s’était levée inquiète, le cœur serré, malheureuse avant que les ennuis eussent pris corps. Elle évoqua les explications, les scènes pénibles, les mauvaises journées qui pouvaient surgir ; les railleuses variations de la chanson d’Aristide lui semblèrent un prélude menaçant. La terreur la saisit, et, pour échapper à ce qu’elle redoutait, elle songea presque à fuir. Puis elle se rassura un peu, se dit qu’elle opposerait à l’énergie une plus grande énergie, et que peut-être aussi se bornerait-on à quelques reproches et lui serait-on favorable ensuite. Mais alors Henriette réfléchissait que les hésitations d’Émile étaient fatales, qu’il était bien tard, trop tard, parce qu’on les accuserait tous deux, lui d’un manque de franchise, elle de l’oubli de ses devoirs. Henriette mettait ces paroles dans la bouche de sa mère : « Vous avez vu en secret ce jeune homme, c’était déjà un grand tort, mais enfin votre premier mouvement de jeune fille bien élevée a été de demander le mariage. Puis, malheureusement, vous avez laissé de côté cette préoccupation moins condamnable, pour chercher je ne sais quoi de coupable. Vous étiez coupable, puisque vous vous cachiez de nous ; sinon pourquoi auriez-vous gardé le secret ? Vous vous êtes donc compromise de gaîté de cœur, rejetant tout sentiment de convenance et de vertu et aujourd’hui, méritant d’expier votre conduite, vous venez réclamer les béné-