Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nonciation à Henriette. Par quelle ironie particulière cette visite de salut s’était-elle changée en catastrophe ? Pourquoi cette éternelle maladresse ? Que n’était-il resté chez lui ? Au lieu de servir les autres, ils souffraient par sa faute. Henriette pouvait rougir d’un homme comme lui ! Il était inutile sur la terre, incapable de se servir lui-même, nuisant à tout le monde, rendant malheureuses sa mère et sa maîtresse ! Le jour où il se tuerait, car cela finirait ainsi, on le pleurerait, on le regretterait, on chercherait peut-être dans la cendre ce qu’avait de bon son organisation. Sa sauvagerie et sa malhabileté mises de côté, restaient une certaine bonté, du dévouement, de la pénétration, se disait-il, mais tout cela stérile, infructueux ; ou plutôt il était niais, égoïste, et n’avait pas de bonheur ! Il n’en aurait jamais !

Ces réflexions brisèrent moralement Émile, comme un homme qui, se pliant un jour, ne peut se redresser et se trouve courbé en deux pour le reste de sa vie, sans avoir reconnu de cause appréciable à cette infirmité. En effet, il resta toujours malade depuis. La tristesse ne le quitta plus et travailla à dissoudre grain à grain le peu de vigueur qu’il possédait. De temps en temps il éprouva des réactions violentes qui désorganisèrent tout son esprit et agrandirent la maladie.

En rentrant chez sa mère, il chantonnait un petit air plaintif et ne se trouvait pas trop malheureux. Seulement, de loin en loin, il lui passait dans la poitrine des courants électriques de désespoir et de douleur, qui eussent été insoutenables s’ils ne se fussent évanouis aussitôt. Il n’avait pas perdu toutes ses espérances, d’ailleurs.

Revoir Henriette ! revoir Henriette ! et lui demander de ne pas douter de lui, la supplier de ne pas croire qu’il l’avait abandonnée.

Henriette ne passait pas des heures meilleures qu’Émile.

Elle avait vu entrer sa mère souriante, et elle s’était levée, emportée par un mouvement de joie, se disant : – Nous sommes mariés !

« Je l’ai trouvé très raisonnable, dit la mère, et n’attachant aucune importance à cette amourette. »

Quel coup reçut Henriette ! Sa figure s’altéra comme rava-