Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/135

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teté de brave servante ; en outre, madame Gérard donna pour consigne à tout le monde de redoubler d’amitiés et de prévenances pour Henriette, se préparant à la séduire par la douceur et par la surprise.

Mais ces soins ne la détournèrent pas de ses autres soins. Elle stimula le président à propos du procès, lança le curé à corps perdu dans la distribution des billets de loterie, et donna à son mari quelques avis pour sa charrue. Pierre l’appela moitié plaisamment, moitié par mauvaise humeur, l’incomparable femme-fourmi.

Henriette éprouva en effet une petite satisfaction à ne rencontrer autour d’elle que des faces souriantes, lorsqu’elle s’attendait à ne voir que le mécontentement sur tous ces visages déjà pénibles à regarder sous leurs meilleurs aspects. La soirée fut insignifiante. La jeune fille parla à peine. Son esprit était à Villevieille ; elle voyait Émile lire sa lettre et s’élancer sur la route ! On se sépara de bonne heure.

À onze heures, Aristide frappa doucement à la porte de sa mère, et vint lui dire qu’il y avait de la lumière chez Henriette, qui n’était pas encore couchée. Madame Gérard, marchant sur la pointe des pieds, alla voir dans le corridor et regarda par le trou de la serrure ce que faisait sa fille ; on entendait, du reste, plutôt qu’on ne voyait.

Henriette allait et venait ; elle ouvrait ses tiroirs, posait divers objets sur la cheminée, se mettait par moments à la fenêtre, s’en retirait en soupirant, disait quelques paroles qu’on ne pouvait saisir.

Après un quart d’heure de ces observations, madame Gérard entra. Sa fille tressaillit et rougit.

« Tu n’es pas encore au lit ? Tu te fatigueras. Pourquoi veilles-tu ? es-tu malade ? »

Les chiens aboyèrent très fort en ce moment. Henriette fit involontairement un pas vers la fenêtre. Sa mère la regarda pour comprendre, puis alla à cette fenêtre accusatrice, écouta et tâcha de distinguer ce qui pouvait se passer dans le parc. Les chiens cessèrent d’aboyer.

« Allons, couche-toi, Henriette, dit madame Gérard ; éteins