Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieux, fut un lien entre eux. Ils commentèrent cette coïncidence et y virent un signe mystérieux, qui leur donna la plus grande envie de se connaître davantage, envie qui s’était déjà assez bien emparée d’eux, comme un petit diable tourmentant.

Je crois que, quand on raconte ces commencements d’amour, on peut bien sourire un peu, parce qu’ils ont un petit côté de gaieté et de fête, mais rien de très sérieux encore.

Émile aurait volontiers dansé tout seul au milieu du salon, et il méprisait tous les gens qui étaient là bêtement, sans y avoir aucun intérêt. Dès qu’il put, car il ne savait que la contredanse, il dansa une seconde fois avec Henriette, bien décidé à utiliser toutes les pauses pour parler.

« On a fait beaucoup de changements aux Tournelles, dit Henriette, qui fut la plus prompte ; vous ne vous y reconnaîtriez plus. »

Ce dernier mot voulait dire vaguement dans sa pensée : Si vous pouviez y venir ! C’était un désir timide comme un pauvre honteux.

Émile le pénétra et répondit :

« Est-ce que madame votre mère recevra ?

— Oh ! non, dit Henriette, la saison est trop avancée.

— Venez-vous souvent à Vieilleville ? demanda alors Émile.

— Moi rarement, dit-elle, mais ma mère assez souvent. Je n’aime pas les visites ; je préfère qu’on me laisse tranquille dans mon coin. Quand je suis à moi-même et que j’espère n’être dérangée par personne, j’ai tout ce qu’il me faut. Je lis, je travaille, ou je me promène dans le parc.

— Il y avait autrefois, dit Émile, dont l’esprit s’arrêtait sur ces promenades dans le parc, du côté du bois, un fossé, et une grille qui laissait voir la propriété du dehors.

— Maintenant il y a un mur qui cache tout. Le fossé est comblé.

— A-t-on changé aussi la maison ?

— Non, dit Henriette.

— Alors je parie, dit Émile, que je devine où est votre chambre. »

Henriette rougit ; l’instinct subtil et éveillé des amoureux