Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/18

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lui faisait entrevoir toutes sortes de conséquences à chaque parole.

« Si vous m’avez vue à la fenêtre, en passant sur la route ! répondit-elle.

— J’ai idée, reprit Émile, que vous avez la petite chambre à l’angle du second, du côte de la ville, du côté du soleil.

— Oui, dit Henriette ; comment le savez-vous ?

— Je ne le sais pas, dit Émile en riant : c’est celle que me donnait M. Bertet quand je venais aux Tournelles. »

Il y a un peu de magnétisme dans certaines conversations ; on est mené, on ne sait par quoi, dans une voie particulière. C’est ainsi que, très innocemment, il était question de détails topographiques très importants, que madame Gérard n’eût peut-être pas été ravie de voir confiés à un jeune homme.

« Il est singulier, ajouta Émile, que nous ayons respiré le même air, et que cette fois nous nous trouvions réunis de plus près.

— Oui, répondit Henriette, qui n’osait plus rien dire, parce qu’il lui semblait qu’on voyait tout ce qu’elle pensait, comme si elle eût été de verre.

— Votre famille est nombreuse ? demanda Émile, qui avait soif de savoir bien des choses, et qui, lui aussi, n’osait pas faire de questions trop nettes.

— Tenez, dit-elle, regardez-les, les voilà tous là.

Émile fut surpris de cette manière leste et dédaigneuse de parler de ses parents. Il les considéra et ne les trouva pas sympathiques ; il prit le président pour un oncle.

« Est-ce que vous n’êtes pas heureuse avec eux ? dit-il.

— Oh ! pas malheureuse, reprit Henriette, mais ils m’étonnent trop.

— Comment cela ?

— Ils me disent tous les jours des choses auxquelles je n’aurais jamais pensé. Nous ne nous entendons pas.

— Je le crois, dit Émile, ce ne sont pas les mêmes natures que la vôtre. »

Henriette se reprocha de parler au jeune homme comme à un confident qu’elle aurait connu depuis longtemps, et Émile