Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/176

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deux yeux qui remuaient continuellement comme des souris dans une cage tournante, Mathéus représentait singulièrement l’Amour.

Jamais son esprit vide n’avait tant travaillé. Il pensait à Henriette, riant et frissonnant à l’idée de l’avoir pour femme, qui lui semblât un rêve. Il agitait des projets de dépenses folles ; ses noces seraient splendides ; il cherchait à inventer une corbeille de mariage qui fût l’expression de sa tendresse. Quand le rhumatisme tournait le dos un moment, d’heureuses idées de soie et de mousseline, de couleurs fraîches et claires, environnaient Mathéus. Il voyait passer des diamants, des étoffes, des meubles devant ses yeux, jusqu’à ce qu’il retombât dans une profonde terreur, en ressentant une douleur un peu aiguë. Le pauvre homme ne savait si l’accès serait long, mais dans les intervalles que lui laissait la souffrance il se disait qu’il souffrirait moins si Henriette était là ; il se trouvait même plus de forces qu’autrefois contre la douleur : il lui semblait être délivré de cette glace et de cette neige de la vieillesse qui contristent et abattent ceux qu’elles ont saisis. En outre, plus ses projets prenaient une forme nette, palpable, matérielle, plus complètement il se représentait tous les détails d’une nouvelle vie, et plus devenait impérieux le désir de voir et avoir tout cela immédiatement, le plus tôt possible, plus tôt qu’il n’était possible. Les vieillards sentent-ils qu’ils n’ont pas le temps d’attendre, ont-ils plus de confiance en eux-mêmes ou un complet aveuglement ? Leurs passions sont plus égoïstes et ont une ardeur plus âpre, plus sauvage, que celles des autres hommes ; Mathéus désirait peut-être Henriette avec plus de force que ne l’aimait Émile. Tous ces songes de parures et de magnificences venaient de ce que le vieux homme voulait embellir la jeune fille pour se faire plaisir à lui-même, en la regardant passer, comme un chaton un oiseau, au milieu d’une volière riche. Du reste ces sujets de méditation et d’invention ne fatiguent pas. Inépuisables, la moindre nuance suffit à les renouveler. On les recommence mille fois, soit par la fin, soit par le milieu.

Corbie était venu voir Mathéus ; celui-ci lui cria :