Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/175

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— Quand nous voudrons, répliqua madame Gérard. Il n’est pas nécessaire d’en parler à M. Mathéus. Quant à Henriette, nous lui ferons signer tous les papiers possibles sans qu’elle y regarde. Elle serait bien égoïste, si elle nous refusait ce petit avantage, après lui avoir fait un sort si brillant.

— Il ne faut pas trop se fier à Henriette, » ajouta Corbie, qui osait dire du mal de sa nièce pour la première fois seulement depuis son malheur.

Corbie tuait naïvement son Mathéus par ce mariage, et aidait à le dépouiller dans ce conciliabule homicide ; mais il ne s’en doutait pas. Il commençait à ne plus sentir peser sur ses épaules la responsabilité de la catastrophe, en voyant avec quelle ardeur on avait accueilli sa proposition.

« J’ai proposé un mari, disait-il, voilà tout ; mais ce sont les autres qui font l’opération. »

Lorsqu’il eut quitté son frère et sa belle-sœur, celle-ci dit à Pierre : « Il y a des femmes adroites qui comprendraient si bien la position qu’en moins d’un an elles pourraient être libres ; mais c’est affaire à chacun. Henriette fera comme elle l’entendra. Je n’ai pas besoin de lui parler de ces choses-là, si elles ne lui viennent pas toutes seules à l’instinct.

— La mère créera la fille à son image ! » répondit Pierre en se sauvant après ce soufflet.

« Il est trop méprisable pour m’irriter, murmura madame Gérard, il n’est plus temps. »

Mathéus était emprisonné à la Charmeraye, gardé par un rhumatisme. Ce mal venait de lui donner un cruel avertissement, au moment où il aurait voulu l’oublier et se faire illusion, ainsi que ces ennemis fantastiques, qu’on voit dans des romans ou des drames, qui disposent de votre vie et vous frappent sur l’épaule, tout à coup, quand on va agir sans leur permission. Mathéus connut ce jour-là ce que l’impuissance donne de rage ; mais, de même qu’un peu d’eau jetée sur du charbon allumé, cela ne fit qu’activer sa nouvelle passion. Assis sur une chaise longue, d’où il ne pouvait bouger, enveloppé d’une robe de chambre, la tête couverte d’un bonnet noir, les chairs du visage jaunies et flasques, avec