Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/189

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et cherchait à s’étourdir pour l’oublier ; elle devenait plus aimable, causait, riait, puis le feu s’éteignait et l’obscurité y succédait. Chaque jour il y avait des mouvements différents dans l’esprit de la jeune fille. Les oscillations entre les idées extrêmes étaient plus fréquentes. Elle dormait peu et mal, et le changement de ses traits augmentait.

Se défier de ceux qui l’entouraient, les soupçonner de lui cacher la vérité, la mettaient hors d’elle et la décourageaient jusqu’à l’effrayer et l’abattre. Elle se demandait ce qu’enfin on ferait d’elle.

Madame Gérard, triomphante, exaltée d’avoir conquis et assujetti madame Baudouin, trouva sa fille dans les larmes. Cette exception de tristesse dans une maison dont tous les murs sonnaient le contentement la froissa et la mit de mauvaise humeur. En femme sèche et dominante, elle ne concevait pas qu’on vécût en dehors de son influence ; elle voulait avoir un reflet sur tout le monde.

D’ailleurs les parents ont le droit reconnu d’être durs envers les enfants, et même cruels, au nom de l’autorité, de la raison, de l’affection et les légitimes ressentiments des enfants sont traités de révolte et d’ingratitude. Plus faibles, sans points d’appui, les enfants sont brisés par les familles. Ou bien, s’ils fuient, ils se mettent une tache au front.

Madame Gérard fronça le sourcil, ses lèvres se serrèrent, et Henriette vit sa figure dure et menaçante. Dans un autre moment, elle en eût été irritée de son côté ; mais sa force, distendue par les larmes, l’avait quittée, et il ne lui restait que de l’inquiétude et de la fatigue.

« Nous ne pouvons cependant tolérer ces folies, dit madame Gérard. Tu affectes envers nous une conduite inouïe. Tu veux nous inquiéter à plaisir, troubler notre tranquillité. Tu n’es sensible à aucune de nos bontés pour toi.

— Ah ! mon Dieu ! répondit Henriette, voilà ce qui me désole. Comment voulez-vous que je paraisse heureuse quand je ne le suis pas ?

— Si tu raisonnais, tu devrais l’être. Tu comprends, du reste, que dans ton intérêt nous devons exiger que tu n’af-