Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/20

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air meilleur. Elle éprouvait un profond serrement de cœur en pensant qu’elle ne le reverrait cependant peut être plus.

Émile rentra aussi très agité chez sa mère. Il ne put s’endormir qu’au jour. Il pensa à Henriette toute la nuit, et le matin, dès qu’il se leva, le bavardage lui jaillit des lèvres.

« J’ai vu hier au bal une bien jolie personne, dit-il à madame Germain.

— Qui donc ?

— Mademoiselle Gérard, des Basses Tournelles.

— Ceux qui ont acheté la propriété de M. Bertet ?

— Oui, dit Émile. Je n’ai jamais vu des yeux si remarquables, et elle a une voix comme je n’en ai jamais entendu, un timbre doux, prolongé. On ne peut pas expliquer cela. Je lui ai parlé. Elle n’est pas bien avec sa famille.

— Ah ! dit madame Germain, pourquoi ?

— Je crois qu’elle est avec des gens à qui elle est supérieure.

— Quel âge a-t-elle donc ? dit madame Germain, qui n’admettait pas cette supériorité des enfants sur les parents qui paraissait toute naturelle à Émile.

– Je ne sais pas, répondit Émile ; dix-huit ans, peut-être vingt. Une chose très étrange, c’est qu’elle a là-bas justement la chambre que me donnait M. Bertet.

— Cela n’a rien de bien étonnant.

— Ma foi si ! dit Émile.

— Ce sont des gens riches ? demanda un peu sèchement madame Germain.

— Oui, » dit Émile.

Et il ajouta en souriant :

« Je crois, Dieu me pardonne que je vais en devenir amoureux.

— Tu feras mieux, dit madame Germain, qui craignait toujours la mobilité d’esprit et toute espèce d’engouement chez son fils, de songer à travailler, à avancer à la préfecture. Quand tu auras une bonne place, tu pourras te marier avec une femme qui soit ton égale par sa position. »

Elle aurait jeté tout à coup son fils dans un ruisseau glacé qu’elle n’eût pas mieux réussi à lui être désagréable et à le