Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/22

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Emile commença à s’inquiéter, un voile noir tomba sur sa tête, il se dit : « Elle ne pense plus à moi, je suis une bête ! » Les larmes lui vinrent aux yeux en songeant qu’il avait pu se tromper et que lui seul mettait toutes ses pensées à cette seconde entrevue.

« Elle n’a pas fait attention à moi ! » Cette idée se mit à sourdre et à couler goutte à goutte, puis de plus en plus vite dans son esprit, et la colère s’ensuivit. « Je n’en ai pas besoin, après tout » se dit-il. Et le bureau sombre lui parut subitement un endroit plus agréable que le petit bois des Tournelles. « Il y en a d’autres qui valent mieux, ajouta Émile : si je retournais à Villevieille ! » Il marcha pendant cent pas avec résolution, mais il ne put y tenir. À mesure qu’il s’éloignait, le désir d’entrer dans le parc devenait plus tyrannique : Henriette pouvait y être. Juste au moment où il partirait, elle mettrait le pied sur le gazon ; comment savoir si, peut-être, elle n’était pas assise tout près, en face de l’endroit où il était arrêté ?

Émile revint, monta dans un arbre, de là sur le mur, en se cramponnant aux branches, ne pensant pas au danger. Il regarda, mais les massifs étaient trop serrés pour qu’on pût distinguer au loin. Émile sauta par terre. Il fit rapidement son plan, afin d’expliquer sa présence dans le cas où le rencontrerait quelqu’un de la famille, et se décida même à aller audacieusement parler à madame Gérard de la Société de bienfaisance de Saint-Vincent-de-Paul, s’il n’avait d’autre moyen de voir Henriette que d’entrer dans la maison.

Personne ne le vit ; il eut la hardiesse de traverser des pelouses de gazon où tous les yeux de la maison pouvaient se porter. Enfin il aperçut, récompense juste, une robe grise qui criait certainement par tous ses plis : « Je suis la robe d’Henriette. »

C’est alors qu’il put bénir l’idée heureuse de n’être pas retourné à Villevieille ; seulement il eut bien plus peur à ce moment que lorsqu’il avait grimpé sur le mur et craint d’être surpris.

Comme il n’était venu que pour la voir, il ne savait plus ce qu’il pourrait lui dire, et il eut envie de se cacher.