Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/23

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Il était ému comme s’il avait eu à paraître devant un être surnaturel. Il alla au-devant d’Henriette en homme qui se dit : « Advienne que pourra ! »

La jeune fille devint toute rouge à sa vue, et resta interdite. Il comprit qu’il fallait cependant parler.

« Vous êtes probablement étonnée de me voir ? dit-il d’une voix troublée.

— Non, répondit Henriette mais comment avez vous fait ? »

Émile montra le mur. Dans le premier trouble, ni l’un ni l’autre ne firent attention à ce non fort grave qui venait d’être prononcé.

« Vous avez dû vous faire mal ! s’écria Henriette.

— Pas le moins du monde.

— Pourvu qu’on ne vous ait pas vu ! » dit la jeune fille.

Ainsi déjà, pour la moindre chose, la conscience s’éveillait et faisait le guet en vigilante gardienne. « Oh ! j’espère que non, » répondit Émile.

Du reste, un signe maçonnique ne leur eût pas mieux appris à se connaître ou à se reconnaître que cette espèce de convention de secret et de mystère qui était venue tout naturellement et immédiatement. « On ne vous a pas vu ? — J’espère que non. » On peut tomber dans les bras l’un de l’autre après cela !

Henriette, ravie, émue, reconnaissante, n’osait pas soutenir le regard d’Émile.

« Pensiez-vous que je viendrais ? » lui dit-il presque tout bas, comme s’il avait peur de s’entendre parler si criminellement.

Henriette fut encore plus intimidée : elle baissa la tête en souriant.

« Voyez-vous quelque inconvénient à me donner votre main ? » dit-il.

Henriette la laissa prendre ; il la pressa dans la sienne et la baisa vivement. Henriette retira tout de suite sa main.

Tout cela était bien vite. Mais une fille élevée à la campagne, dans la solitude, n’a peut-être pas été suffisamment prémunie contre une pareille et soudaine occurrence. On ne lui