Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/241

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des tragédies antiques, Corbie et Aristide se promenaient sur la route.

« Comme tu es beau ! avait dit Corbie en considérant curieusement la toilette de son neveu.

— Ah ! répliqua Aristide, vous me disiez l’autre jour que je ne connaissais pas l’amour. Eh bien, je le connais à présent. Vous savez, madame Vieuxnoir…

— La femme de l’avocat ? demanda Corbie étonné.

— Oh ! c’est une femme qui a bien de l’esprit ! J’ai été chez elle aujourd’hui ! »

Aristide semblait, par son air, annoncer le plus grand événement du monde.

« Eh bien, qu’est-ce qu’elle a dit ?

— Oh ! beaucoup de choses. C’est de ces femmes à qui on peut dire tout ce qu’on a sur le cœur. Je n’ai jamais été si content. Dans trois jours, j’y retournerai. Elle a si bon ton et elle cause si bien ! Vous ne pouvez pas vous figurer comme elle a de l’instruction.

— Il faut prendre garde, dit Corbie : tu sais ce qui m’est arrivé !

— À présent je vois bien ce que c’est, reprit Aristide : c’est comme le feu. Pour les filles, ça doit être très dangereux. Un homme, c’est fort ; mais une fille, ça lui fait perdre la tête.

— Ainsi, dit Corbie, tu apprends déjà à connaître les passions. Sois prudent. La femme d’autrui, c’est grave !

— Oh ! il y a une chose qui me va, répliqua Aristide ; l’avocat n’y est presque jamais : ce sera plus commode.

— Oui, mais, dit Corbie, en amour il faut respecter la femme !

– Celle-là ne m’en impose pas, reprit le jeune homme ; au contraire, il me semble que c’est ma cousine : j’avais envie de l’embrasser. Du reste, j’ai été malin.

– Ah ! voilà bien le jeune homme ! dit Corbie. Il ne faut rien brusquer. Apprends à bien la connaître. Tu ne l’as encore vue que deux fois…

— Ça ne fait rien, répondit Aristide plein d’éclairs ; je savais bien que j’en valais un autre. Nous nous sommes compris. Je suis sûr d’elle comme de mon petit doigt. »