Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je ne sais pas persuader, dit-il : il faudrait non pas une bouche d’or, mais une bouche de diamant.

— Ne vous tourmentez point, répliqua madame Gérard, ce sont les nerfs qui sont en mouvement chez cette enfant. »

Elle s’approcha d’Henriette en serrant les lèvres, pour mieux lancer une phrase meurtrissante, et lui dit d’un ton furieux quoique voilé :

« Vous lasserez ma patience !

— On ne lassera pas la mienne ! » répondit très haut la jeune fille.

Mathéus courut à madame Gérard et la prit par le bras.

« Je vous en prie, s’écria-t-il, ne l’irritez pas. Je ne veux pas être la cause d’un désagrément pour elle. J’espère qu’elle reviendra à nous ! Voyez, sa figure s’adoucit déjà. Elle est ravissante. »

Henriette s’assit près d’une fenêtre et prit sa broderie, toujours irritée, mais aussi satisfaite qu’un maître d’armes qui a patronné son adversaire. Elle venait de célébrer le culte d’Émile, et le jeune homme lui apparaissait resplendissant comme ces rois mages tout lumineux peints sur un vitrail.

« Quels gestes gracieux quand elle brode ! » disait Mathéus à madame Gérard, qui aurait voulu mettre des lames aiguës dans ses yeux lorsqu’elle regardait sa fille.

Tous les autres étaient désorientés et se tenaient courbés sous l’inflexible roideur de la jeune fille. On parla mollement, d’une manière gênée, de sujets insignifiants.

Madame Gérard, aussi roide et orgueilleuse qu’Henriette, chercha à dissimuler sa défaite et à se venger. Elle pensa qu’Henriette souffrirait en voyant sa mère affecter de considérer comme non avenu ce qui venait de se passer. Elle entreprit donc Mathéus, lui parla des habitudes de la famille, de l’enfance et de la première jeunesse d’Henriette ; cita les traits d’esprit de celle-ci, en fit l’éloge, au milieu des exclamations de ravissement du vieillard. Elle exaspéra Henriette, qui fut atteinte d’un grand dépit en s’apercevant n’avoir rien gagné encore.

Sa mère l’interpella même plusieurs fois, pour lui demander de confirmer les récits qui transportaient Mathéus d’aise.