Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/246

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La jeune fille, obligée à répondre, disait oui, non, et rien de plus, prête à se lever et à crier à madame Gérard : « Mais je devine votre manœuvre, vous êtes fausse en ce moment ! »

Son supplice se termina à l’heure du dîner, pour recommencer bientôt après, car à table tout le monde essaya de vaincre le silence obstiné où elle voulut se renfermer. Ni Pierre, ni le curé, ni le président, ne la fléchirent. À la fin ils perdirent le sang-froid.

On avait mis Mathéus à côté d’Henriette. Il lui versait à boire, lui offrait les plats, lui parlait, ayant ainsi mille prétextes d’en obtenir quelques mots. Mais de ces lèvres il ne sortait que des monosyllabes incompréhensibles.

Pierre s’écria :

« Parleras-tu enfin ?

— Je n’ai rien à dire, répondit la jeune fille.

— C’est pour se rendre intéressante, dit Aristide, qui reçut en riposte un sourire plein de mépris.

— Vous n’êtes peut-être pas bien portante ? demanda Mathéus.

— Mais si ! » répliqua Henriette.

Afin d’éviter de regarder personne, elle tenait ses yeux fixés sur la nappe.

Alors on recommença à faire discourir le vieillard sur sa fortune, ses diamants, dans l’espoir d’amener des motifs d’entretien capables de s’insinuer dans cette volonté de se taire ; mais on ne réussit pas. Les uns étaient rouges, les autres violets, verts, chacun selon son tempérament, et chacun agité, menaçant la rebelle.

Après le dîner, Mathéus s’assit de nouveau près d’Henriette. Elle se leva sans affectation et alla prendre une place où il ne pouvait la rejoindre. Mathéus était un peu animé par le repas, et il avait moins de sensitivité pour les affronts qu’il subissait. Le vieil homme tournailla assez sottement autour de la jeune fille, tâchant de s’en rapprocher. Il essaya d’abord de s’appuyer sur l’angle d’une console derrière laquelle elle s’était réfugiée ; mais cet angle lui perçait les reins. Il recommença à marcher tout autour d’Henriette, comme un faction-