Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/247

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naire. Puis il tenta de se glisser entre une lourde table à moulures aiguës et l’espagnolette saillante de la croisée, pour arriver par un autre chemin. Il se heurta rudement les pieds et les épaules, fit une grimace et revint, dépité, se jeter sur un canapé à l’autre extrémité du salon.

« C’est spirituel ce que tu fais là ! » dit Aristide à sa sœur.

Pierre et madame Gérard étaient horriblement contrariés que se révélât à Mathéus le désordre de la famille. On ne savait plus que faire. Enfin madame Gérard proposa un whist, qui fut joué d’un air funèbre.

À neuf heures et demie Henriette arriva près de la table à jeu et dit bonsoir.

« Tu n’es pas malade, répondit madame Gérard, tu ne quitteras pas le salon. Ce serait une impertinence. »

Henriette reposa un flambeau qu’elle avait pris et se rassit froidement.

« Ô Mademoiselle, dit Mathéus, laissant ses cartes au milieu de la partie, que dois-je croire ? »

Elle leva la tête en l’air d’un air profondément las. Mathéus reprit ses cartes et joua tout de travers.

Deux robers finis, on quitta le jeu. Pour remplir le vide des minutes et masquer la plaie des méfaits d’Henriette, Pierre voulut occuper Mathéus d’horticulture. À tous moments celui-ci retournait la tête vers sa fiancée. À dix heures un quart, Henriette ne changeant point d’attitude, Mathéus consterné se décida à partir.

En le reconduisant, madame Gérard lui dit avec un sourire :

« Il n’y a rien à craindre, la cause du bon sens triomphera.

— Ah ! répondit-il en regardant la jeune fille, peut-être parviendrai-je à diminuer l’éloignement d’Henriette pour moi ! »

Le roulement de sa voiture se perdit bientôt au bout de l’avenue.

« À présent, dit madame Gérard à Henriette, vous pouvez remonter. »

La jeune fille s’élança hors du salon, tant elle avait hâte de sa délivrance.