Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/250

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Elle le ramena du côté opposé. Le jeune homme ne montrait sa contrariété que par son silence.

« Ah ! si tu pouvais être doublement guéri ! » reprit sa mère, qui ne se méprenait pas sur les sensations d’Émile.

Il ne voulait pas s’expliquer ; il dit, feignant de n’avoir pas entendu : « Comme il fait beau ! » Il coupait de longues herbes et les mâchonnait entre ses dents !

« Je sais que tu fuis la conversation, continua madame Germain, mais, vois-tu, c’est que je ne veux plus qu’on te rapporte chez moi tout en sang et à moitié mort. À cause d’une petite… créature que je ne connais pas, qui se montre un jour, je ne te vois plus, je tremble jour et nuit, tu es soucieux, malade, car, si ce n’est une chose c’est une autre ! Il y a trois mois, tu n’a pas voulu m’écouter ; tout ce que j’ai prédit est arrivé, et même pis. »

Ces paroles étaient pour Émile comme des gens qu’on laisse frapper à la porte sans leur ouvrir.

« N’avais-je pas eu toujours l’instinct que ta folie, mon pauvre ami, n’amènerait qu’un malheur ? Auras-tu cette fois plus de confiance en moi ? ajouta madame Germain, mauvais médecin plein de bonne volonté qui déchirait trop tôt l’appareil des blessures.

— Je suis tourmenté par elle et par toi, répondit Émile, qui désirait vaguement le repos.

— Tourmenté par moi ! s’écria madame Germain.

— De quelque façon que j’agisse, reprit le jeune homme, je ne puis remuer un doigt sans faire souffrir les gens que j’aime, et moi-même je ne suis pas plus heureux qu’eux.

— C’est bien pour cela que je voudrais t’emmener avec moi loin d’ici pendant un mois, » dit sa mère.

La pauvre femme mettait un acharnement désespéré à ce moyen de salut. Elle avait songé à enlever son fils malgré lui.

« Non ! non ! cria Émile, je ne veux pas m’en aller ! » Il s’arrêta, se cramponnant des pieds à la terre comme un enfant effrayé. Madame Germain sourit tristement, se sentant sans force contre cette faiblesse, et elle murmura en elle-même :

« Dieu sait ce qui arrivera ! »