Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Émile retrouvait quelques idées mieux ordonnées.

« Tout ce qui se passe me fait voir qu’il faut accomplir son sort, continua-t-il ; on ne peut pas échapper à la force des choses. Qu’est-ce que je ferai à vingt lieues d’ici… D’ailleurs, je n’y resterais pas, je reviendrais plutôt à pied. L’air de Villevieille m’est nécessaire. Il faut que je sache ce qui se passe. Quoi qu’il arrive, j’aime encore mieux en être informé que de ne rien savoir. Je puis surveiller d’ici Henr… empêcher !… » Il se tut.

Parfois madame Germain éprouvait de la colère contre son fils, elle lui répondit vivement :

« Et à quoi cela te servira-t-il ? Est-ce que tu peux revoir ces gens-là ? Est-ce qu’on te laissera encore approcher de ton Henriette ?… Du reste, elle va se marier. »

En sentant le mouvement du bras d’Émile qui était appuyé sur le sien, madame Germain se repentit.

« Comment ! elle va se marier ? s’écria Émile.

— On le dit. »

Mais les malades en voie de guérison sont remplis d’espérances : Émile imagina que sa mère voulait le tromper pour le détourner d’Henriette, et il ne la crut pas, quoique son cœur grondât sourdement contre la jeune fille qui aurait été infidèle, tandis qu’il s’était à moitié tué pour elle.

« Et avec qui se marie-t-elle ? dit-il avec un sourire incrédule.

— Avec un M. Mathéus, quelqu’un de six à huit lieues d’ici.

— Un jeune homme ?

— Non, un homme âgé. »

« Oh ! se dit encore Émile, ce sont les parents ! mais je connais assez Henriette pour être tranquille. »

Malgré lui cependant il tombait dans une sorte de rêverie vague, sinistre ; il voyait passer des calèches contenant une mariée, des gens en grands habits de fête ; la cloche de l’église sonnait ; Henriette mettait sa main dans la main d’un autre homme, on déployait l’étoffe blanche au-dessus de leurs têtes, des voix bourdonnaient sourdement, un cortège confus