Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/252

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passait sous le portail, un mouvement de couleurs noires, blanches, bleues, se faisait, les voitures repartaient.

L’étourdissement de l’air, trop fort pour ses organes affaiblis, se mêlait à ses troubles de la tête, et il se promenait comme balancé et suspendu au milieu des champs, des fleurs, des arbres, heureux par la vue et en même temps souffrant.

Si on avait parlé à Émile des Tournelles, de la possibilité d’y retourner ; si on l’avait encouragé, si on lui avait fait espérer de revoir Henriette, de recommencer sa vie des deux derniers mois, il aurait pu écouter et comprendre ; mais il n’écoutait ni ne comprenait ce que disait sa mère ; elle promenait à son bras un corps affaibli et lourd, et le véritable Émile était dans le parc de madame Gérard.

Cependant la mère et le fils rencontrèrent quelques personnes qui s’arrêtèrent avec eux ; les premiers bonheurs du retour de la santé rendirent Émile plus sensible aux petites choses, et des gens qui, dans son état ordinaire, lui étaient insupportables, lui parurent gais à voir ; il fut détourné des pensées fatigantes, et de toute la journée n’inquiéta plus sa mère. Il s’intéressait au dîner, aux plats, à la lampe du soir, avec l’attention d’un sauvage. Madame Germain ne désespéra plus autant. Elle ne savait pas qu’en se couchant, et pouvant à peine se tenir seul, il se disait « Demain j’irai dans le parc ! »

De tous, il n’y avait qu’un être heureux : Aristide ! Il ne s’inquiétait plus de Perrin, que cet abandon désolait. Perrin passait tristement ses journées, assis sur une marche devant la maison de son père, remuant des petits cailloux et pensant stupidement à son malheur. Plusieurs coups de pied donnés par son père l’épicier ne l’avaient pu tirer de son abattement, et les criailleries de sa mère ne lui causaient pas d’émotion.

« De quoi a-t-il l’air, je vous demande un peu, ce grand oie-là ? disait-elle à son mari. Voyons, bougeras-tu, espèce d’idiot ? reprenait-elle en s’adressant à Perrin. Le voilà-t-il pas affolé avec son air bête ? Il est bon à grand’chose, votre fils ! C’est un fameux cadeau que nous avons eu là ! Il est toujours battu par les polissons. Il n’a pas de défense contre leurs tas