Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/264

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quelle douleur on me cause en m’en séparant. Vous surtout, monsieur de Neuville, qui…

— Oh ! dit M. de Neuville regagné, du tout, ma chère Henriette. Voilà votre fatale méprise. Nous n’avons pas à discuter avec vous. Vous êtes un malade qui voudrait en remontrer à son médecin.

– Mais, dit Henriette avec un demi-sourire triste, je ne prendrai pas votre remède.

— Ne plaisantons pas, reprit le président. Nous savons ce que vous ne savez pas, nous voyons ce que vous ne voyez pas. Ce jeune homme ne devait-il pas s’adresser d’abord à vos parents et non à vous ? Non, non, soyez ce que vous êtes, une personne remarquable et non une enfant. »

« Ah ! pensa Henriette, si Émile était revenu, jamais je n’en aurais laissé dire autant. »

« Que voulez-vous ? ajouta-t-elle, je répéterai toujours ma déclaration de l’autre soir.

— Alors je vous quitte, très peiné de vous voir dans ces sentiments égoïstes, » répliqua-t-il, empruntant les armes de madame Gérard.

Henriette sentit battre son cœur et elle remonta, puis se jeta à genoux, demandant à Dieu la vérité, bien qu’elle ne fût pas pieuse. Quelqu’un qui eût assisté à son entretien avec le président n’eût jamais soupçonné quelle incertitude secrète se voilait sous son affectation d’inflexible fermeté.

Et pourtant, avec quelle patience de savant elle étudiait les moindres paroles qu’on lui disait ! les tournant, retournant, luttant, s’y laissant entraîner, revenant, et toujours accrochée à ce silence d’Émile qui l’épouvantait, l’irritait et l’affligeait. Aussi depuis peu se présentait à son esprit, mais timide et fuyarde comme un lézard, cette pensée, terrible pour elle : « Enfin, si Émile m’a abandonnée, pourquoi ne me marierais-je pas ? » Mais alors elle s’indignait de sa faiblesse et se retenait aux séductions que lui présentait l’idée de se sacrifier et dévouer pour Émile.

Madame Gérard haussa les épaules lorsque le président revint, et elle répéta, comme à l’ordinaire : « Nous verrons bien !