Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/268

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donnements des insectes, les cris des grillons qui paraissaient lui souhaiter bonne chance.

Quoique fatigué, Émile ne s’arrêta pas et déboucha dans le chemin de ronde du parc, au delà du point où il accomplissait ses escalades ordinaires… Il découvrait de temps à autre un angle de la fenêtre d’Henriette, se disant : « Pense-t-elle à moi ? » Quand il eut ainsi contourné la muraille, il arriva à une place vide, une espèce de clairière, où restaient cinq ou six souches rasées à quatre ou cinq pouces de la terre, et dont il ne se rappelait pas la physionomie. « Qu’est-ce que c’est donc que cela ? » se demanda-t-il et alors, comme si un rideau se levait brusquement, Émile se souvint de la nuit pendant laquelle il avait senti ces souches sous ses pieds et s’était si cruellement blessé. Il trouvait abattus les arbres qui lui avaient servi si souvent pour entrer dans le parc, et qu’il avait vainement cherchés dans cette nuit malheureuse ! Ce fut un signal, pour ainsi dire, auquel se levèrent à la fois, comme des voleurs couchés à terre, mille idées attristantes et décourageantes. Émile se rappela mot à mot sa visite à madame Gérard, et des larmes vinrent à ses yeux, de même qu’au moment où il était sorti du salon. Il n’eut plus confiance, ni dans ses forces physiques, ni dans le hasard, et il recommença le procès qu’il se faisait éternellement sur sa lâcheté, sa faiblesse et sa niaiserie.

Émile n’allait nulle part sans être imprégné de la tête aux pieds de l’idée qu’il était incapable de réussir en ce qu’il poursuivait. Pour agir, il lui fallait la fièvre, la nuit ; il fallait qu’il n’eût pas conscience de ce qu’il faisait. En projets, le jeune homme était imprudent et audacieux, et lorsqu’il s’élançait pour les exécuter, c’était toujours les yeux fermés, afin d’être contraint à ne pas reculer, une fois engagé, et d’être engrené malgré lui.

Il pensa à entrer dans la maison et à aller droit chez Henriette.

En marchant vers la grille du parc, il s’aperçut que Perrin venait derrière lui. Il ralentit le pas, Perrin le dépassa ; alors Émile continua à avancer, Perrin s’arrêta en travers sur la route. Émile, étonné, retourna un peu plus loin, Perrin le sui-